À peine sortis de la gare de Dundee, « abracadabra ! » comme on dit en Écosse, nous tombons nez à nez avec le musée du design Victoria & Albert. En lisière des quais sur le fleuve Tay, cette première antenne a été inaugurée le 15 septembre dernier. Ceux qui imaginent qu’un édifice fiché dans le nord-est du pays ne peut être que provincial en seront pour leurs frais. Il s’agit en effet du plus important musée écossais ! « Le projet est né en 2007 dans le but de montrer les collections au public hors de Londres. Le V & A Dundee occupe une place fondamentale dans la cité, qui a engagé un vaste programme de rénovation de ses docks pour plusieurs milliards d’euros, dont cette plateforme qui en a coûté 90 millions. Son renom devrait générer 350 000 visiteurs par an », précise Philip Long, directeur du musée.
On ne se prive donc pas d’admirer le colosse conçu par le Japonais Kengo Kuma. Sa première réalisation sous l’emblème du chardon répond clairement à sa fonction de promoteur de la création régionale. De plus, ce maître adorant faire entrer la nature au cœur de ses constructions, le bâtiment tout entier respire l’Écosse. Sculpturale, la silhouette dessine même la géographie du pays. C’est du moins l’avis de Philip Long : « Elle est inspirée de nos falaises escarpées, exprimées sur les façades extérieures par près de 2 500 panneaux de pierre préfabriqués d’une longueur allant jusqu’à 4 mètres et d’un poids pouvant atteindre 3 tonnes chacun. Taille, forme et accrochage varient pour s’adapter à la course du soleil. »
Ce bâtiment offre un dos de pierre aveugle qui ne laisse rien voir de l’intérieur de la structure. « Le public entre par un très large hall orné d’un immense escalier », dévoile notre interlocuteur, qui évoque aussi un niveau doté d’une boutique d’objets exclusifs manufacturés en Écosse et dessinés par des créateurs locaux. Un restaurant sera prolongé d’une terrasse sur le fleuve. Dundee tenant aussi à se reconnecter à la Tay, les 100 agences d’architecture qui ont participé au concours se sont frottées à cette exigence. Après une visite sur place, Kengo Kuma a proposé un monument arc-bouté sur le fleuve. On le voit aujourd’hui flotter, et même se dédoubler sur le miroir des eaux. Des bassins creusés du côté des quais amplifient cette sensation, rappelant l’importance du port baleinier au XIXe siècle. Ce clin d’œil naval se prolonge par des proues et des étraves élancées qui pointent vers l’horizon.
Le volume intérieur additionne des studios de travail, une école, un auditorium ainsi que des lieux d’échange sur les ressources. Les expositions temporaires ont débuté avec « Ocean Liners: Speed and Style », qui témoigne de la modernité technologique et de l’art de vivre sur les transatlantiques, du XIXe siècle aux années 60. L’une des salles d’exposition permanente est consacrée à l’architecte écossais Charles Rennie Mackintosh. Y est installée sa fameuse Oak Room du salon de thé d’Ingram Street, à Glasgow, datant de 1907-1908. « Le design en Écosse a une longue histoire internationale, peu connue, il est vrai, reconnaît Paul Long. Comme nous n’avons pas de réserves, le V & A de Londres reste le centre des collections et le principal curateur de nos expositions grâce à ses archives. Nous allons explorer tous les designs (automobile, céramique, verre, arts décoratifs) et mettre aussi l’accent sur des collaborations entre marques et créateurs locaux. Nous pourrons ainsi nous intéresser aussi bien au directeur du design de Jaguar, Ian Callum, qu’au fondateur des maillots de bain Speedo, Alexander MacRae. »
Lors de l’inauguration, hommage est rendu à l’artiste écossais John Byrne, qui, en 1973, a créé un théâtre en carton de 3 mètres sur 4 ressemblant à un livre pour enfants. Cet ingénieux décor servait aux acteurs en tournée dans les Highlands qui en faisaient défiler les pages en fonction des scènes. Acte I, scène 1… place maintenant à l’ouverture publique du très design V & A Dundee.