En 1968, la révolution des mœurs s’exprime aussi à travers le design. Des créateurs visionnaires commencent à anticiper les nouveaux comportements d’une génération qui se revendique « décomplexée » et entend faire bouger les codes de l’art de vivre. Rompre avec la tradition, c’est tout l’enjeu de cette fin de décennie durant laquelle on n’hésitera plus à s’affaler sur des sièges ultra-confortables ni à dormir sur des canapés-lits dans le salon des autres ou dans un studio.
De l’autre côté des Alpes, 1968, c’est aussi l’année où l’architecte Cini Boeri (de son vrai nom Maria Cristina Mariani Dameno) imagine Strips, un canapé personnalisable composé de modules de tailles différentes, avec ou sans accoudoirs, ce qui permet de configurer à sa manière ce que l’on commence à appeler le living-room (la fameuse « pièce à vivre »). Le mobilier s’adapte à l’utilisateur et non plus le contraire. Avec Strips, on vit au ras du sol, on déplace les éléments en fonction des occasions et on couche directement dedans, sous une couette zippée intégrée. Car, en plus, Strips est déhoussable, d’où ce nom joliment coquin qui fait référence à l’art de l’effeuillage (mais pas que…).
Ce canapé marque incontestablement une étape dans l’histoire du design italien. Et, s’il n’a pas offert à Cini Boeri la notoriété internationale dont bénéficient certain(e)s de ses compatriotes, il reste, cinquante ans plus tard, un des best-sellers de l’éditeur Arflex. Ce n’est d’ailleurs pas un hasard si l’histoire de cette série, symbole d’une mutation sociale, et celle de l’entreprise, dont le logo est signé Erberto Carboni (comme celui de Barilla), sont liées.
Car Strips est aussi la manifestation d’un progrès technique amorcé vingt ans plus tôt par les fondateurs d’Arflex : Carlo Barassi, Renato Teani et leurs acolytes Pio Reggiani et Aldo Bai, qui travaillaient ensemble chez Pirelli. « Ils ont créé de toutes pièces une société qui a conçu d’emblée des meubles de façon industrielle, alors que les autres ont évolué à partir d’un savoir-faire artisanal », explique Fausto Colombo, le dirigeant actuel de la société. Leur idée force ? Fabriquer des assises rembourrées avec de la mousse synthétique et remplacer les ressorts utilisés à l’époque par un nouveau système de bandes élastiques (strips, en anglais…). Basé à Milan, où est installée une petite unité de production, le quatuor remporte son premier succès en 1951 avec le fauteuil Lady, dessiné par Marco Zanuso, qui décroche la médaille d’or à la Triennale.