Cette rue étroite du Fashion District de Manhattan, comparable à notre Sentier parisien, déborde de boutiques de fringues chinoises. Entre camions de livraison et voitures du commissariat voisin, on repère enfin la porte vitrée en aluminium gris qui cache un corridor blanchi de néons. L’ascenseur nous emporte à l’étage du studio, qu’on imagine évidemment à l’image de son environnement chaotique.
Surprise ! Apparatus mérite bien son nom, que les linguistes ont déjà traduit par « pompe » ou « somptuosité ». Jeremy Anderson et Gabriel Hendifar ont en effet déniché une spectaculaire cathédrale industrielle de 1 000 m2, une sorte de château rêvé aux plafonds vertigineux peints en bleu nuit comme le reste. Il y a ici un peu de l’opulence des décors d’Auntie Mame, de Morton DaCosta (1958), film fétiche de Gabriel, qui a bien dû le voir 25 fois. Quoi de plus propice à la théâtralisation que cet espace où se balancent les lustres Synapse à double hémisphère au-dessus d’une console translucide à tablette laquée de la série « Segment » ?
« Jeremy et moi avons emménagé à New York en 2009 et nous ne trouvions pas les lampes qui nous convenaient, explique Gabriel. Nous avons tenté d’en bricoler nous-mêmes, nous apercevant que, lorsqu’on change la lumière dans une pièce, on change les sensations qu’on y éprouve. Nous avons tâtonné avant de fabriquer notre lustre en métal articulé sur laiton, patiné jusqu’à le transfigurer en matière précieuse. » Et Twig 5 a immédiatement tapé dans l’œil de leurs amis qui le découvrent suspendu dans le couloir de leur appartement.
Comme l’Amérique sait si bien en fabriquer, la fabuleuse aventure d’Apparatus démarre à partir de rien, inspirée par le goût du duo pour le bricolage mais surtout par Eileen Gray, Josef Hoffmann, Jacques-Émile Ruhlmann ou Pierre Chareau, dont la vision du « dessiner pour vivre mieux » les fascine. Et, pour vivre cette aventure pleinement, Jeremy et Gabriel ont lâché leurs jobs, de relations publiques pour l’un et de directeur artistique de mode pour l’autre.
Apparatus infuse aujourd’hui une esthétique décorative incisive, audacieuse et mature, bien plus complexe qu’il y a huit ans et qui mixe intelligemment nos petites madeleines stylistiques du XX esiècle. L’exploration du matériau in situ jusqu’à sa métamorphose manufacturée est typique du courant actuel des « designers-makers » new-yorkais. Dans l’atelier incorporé au studio, 40 artisans et techniciens bidouillent sans contrainte, réalisant les patines, les formes tubulaires, les assemblages, relayés par les meilleurs ateliers du monde.
Jacques Barret, fondateur de la galerie Triode
« Ma galerie représente de nombreux designers américains, aussi, je reste à l’affût. J’ai suivi les aventures d’Apparatus dès la naissance de leur première lampe (la suspension Twig 5, NDLR), dont je n’étais pas fan car elle me paraissait trop connotée Brooklyn avec ces tubulures que l’on voit partout. Néanmoins, le studio a trouvé son vocabulaire, sophistiqué, “européen”. Je les représente depuis quatre ans. J’aime leur raffinement. Des appartements de luxe sont d’ailleurs présentés aux riches clients avec des décors d’architecte “clés en main” où figurent des lampes et du mobilier Apparatus. Avec eux, le matériau prend des reflets, de la matière, et ce côté “maker” (imaginer et faire) m’intéresse. C’est un mouvement très new-yorkais dont sont issus par exemple Lindsey Adelman, référence que l’on s’arrache, ou Allied Maker, que Triode va lancer en septembre. »
Triode Design. 28, rue Jacob, 75006 Paris. Tél. : 01 43 29 40 05.