Une bûche glacée en forme de couronne rose bonbon ornée de cabochons en chocolat… Lorsqu’il a livré, début décembre, sa version du gâteau de Noël pour Häagen-Dazs, Konstantin Grcic a pris tout le monde de court.
Tout le monde… sauf ceux qui connaissent finement le travail du designer munichois, son appétit pour l’expérimentation de nouvelles techniques et l’exploration de typologies inédites. Un homme capable de dessiner avec la même aisance une lampe à 80 € et une pièce de galerie à plusieurs dizaines de milliers. Sans doute a-t-on trop hâtivement catalogué « designer industriel radical » ce grand brun aux lunettes rectangulaires à monture épaisse.
Radical, Konstantin Grcic l’est incontestablement, mais avant tout par son refus de s’enfermer dans un style, par une remise en question permanente et, surtout, par une persévérance monstre pour faire aboutir un projet. « Konstantin, comme les Bouroullec, déteste le simple exercice de style et, comme eux, il n’y a jamais de bench-marking (étude comparative, NDLR) avant de se lancer dans un projet », détaille Eugenio Perazza, patron de Magis, l’heureux éditeur de la Chair_One. Commercialisée depuis 2003, cette assise a été dessinée sans étude de marché. Dans sa version avec piètement en béton, ses formes brisées en fonte d’aluminium affichent sur la balance un poids total de 43 kilos !
Didier Krzentowski, fondateur de la Galerie Kreo, qui a recruté le designer en 2004, se rappelle d’un moment inoubliable : « Le jour où j’ai découvert ses pièces, elles m’ont perturbé… J’ai d’emblée trouvé son écriture incroyable. » Sa radicalité s’exprime aussi par son refus de se laisser dicter son dessin par les tendances ou les technologies disponibles. Il préfère donner naissance à ses rêves. « Nous allons développer beaucoup de projets avec Konstantin dans les deux années qui viennent. Pour les deux projets majeurs, nous allons créer des machines spécifiques et employer des technologies encore jamais utilisées dans le design », révèle Eugenio Perazza de Magis.
C’est d’ailleurs par le biais de la recherche et de l’expérimentation que Didier Krzentowski a réussi à convaincre Konstantin Grcic de rejoindre son écurie : « Je lui ai expliqué que nous étions une sorte de laboratoire, un espace de liberté et de recherche sans les contraintes du design industriel… » Depuis, le designer n’a plus quitté la galerie. Il y montre actuellement « Volumes » (jusqu’au 10 septembre), pour laquelle il a conçu un alphabet de formes. Ses expérimentations et questionnements ne sont jamais gratuits mais ambitionnent de faire évoluer le design, de l’imbriquer aux changements des modes de vie. Nomade, légère, solide, la lampe May Day, dessinée il y a vingt ans, en est le meilleur exemple et demeure le best-seller de Konstantin Grcic et de Flos, son éditeur.
« À l’époque où tout le monde utilisait le plastique comme une caricature, lui en a fait une matière consistante, joyeuse, forte, universelle, voire courageuse… C’est ce courage et cette fantaisie qu’il a aussi mis au service de la Noctambule, un projet que nous avons dévoilé l’année dernière. Il a marié des chaînes, du verre, des LED pour en faire un objet romantique mais technique. En cela, Noctambule représente les challenges de notre époque », confie, admiratif, Piero Gandini, le directeur de la prestigieuse marque de luminaires. Didier Krzentowski va plus loin : « Konstantin se pose sans arrêt des questions sur notre façon de vivre, il intellectualise beaucoup. Est-ce que, demain, nous nous assiérons toujours à une table et sur une chaise ? Avec “Hieronymus”, une exposition consacrée à l’espace de travail en 2016, il s’est autant imprégné de saint Augustin que des mutations de l’époque. Ces réflexions font avancer le design et nos façons de vivre. »