Des canoës qui défilent au ralenti, des cigognes qui picorent sous des saules en cascade, un chat pas farouche… Nous voilà bien installé dans la carte postale d’une Alsace qui semble appartenir à une autre époque. Pourtant, au fond de ce jardin, la haute stature d’une grange contemporaine tranche nettement avec le paysage alentour. L’environnement ? Un site des plus évocateurs : le Graal, même, pour plusieurs générations de cuisiniers que vient confirmer un livre d’or dans lequel se bousculent têtes couronnées, artistes planétaires et grands de ce monde, sans oublier une foule d’anonymes, tous amoureux de tables bien mises et de recettes cultes.
L’adorable rivière qui coule à ses pieds peut bien déborder de temps à autre, l’Auberge de l’Ill garde le cap d’un art de vivre désirable depuis cent cinquante ans. Avec elle, le clan Haeberlin et ses sérieuses brigades ont même fêté en 2017 un demi-siècle sous trois étoiles Michelin. C’est dire combien la maison compte dans le patrimoine français… À cette réussite durable orchestrée par une famille hyper-soudée et dévouée au bien-être de ses hôtes s’ajoute le souci constant d’évoluer en douceur et d’épouser le goût du jour.
En 2007, alors que l’Auberge de l’Ill se duplique à Nagoya, au Japon – avant de passer sous la bannière de Matsuhisa –, le chef Marc Haeberlin et sa sœur Danielle Baumann confient au tandem Patrick Jouin et Sanjit Manku le soin de revoir l’architecture intérieure de leur restaurant originel. Le nom des deux architectes, alors associés depuis peu et bien moins connus qu’aujourd’hui, lui a été soufflé par Alain Ducasse pour lequel ils viennent de finir la première version de son restaurant au Plaza Athénée. La rencontre et l’osmose autour du projet de l’Ill vont sceller une amitié durable au point qu’un nouvel appel est lancé au duo, désormais réputé, quelques années plus tard, en 2014, pour la création des Haras. Cette première brasserie Haeberlin a trouvé sa place au cœur de Strasbourg.
Une cathédrale de bois et de cuir, avec une charpente phénoménale et un escalier magistral pour sublimer une cuisine du marché qui remporte rapidement un franc succès. « C’est une famille hors norme, douée d’une empathie naturelle, qui vous apporte sérénité et bien-être. Chez eux, le temps ne s’écoule pas à la même vitesse qu’ailleurs », s’enthousiasme Patrick Jouin qui se sent rapidement accueilli comme à la maison.