En France, on a connu le décorateur-ensemblier, puis l’architecte d’intérieur et le créateur qui ne s’occupe pas de fabrication, alors que vous cumulez ces responsabilités…
Christophe Delcourt : J’ai toujours fait ça. Nous sommes une maison d’édition qui a des parts dans un atelier. J’y tiens. L’ADN de la maison, c’est le sur-mesure reposant sur des savoir-faire. Ce qui nous permet de nous adapter aux projets des clients. Si notre catalogue de meubles s’enrichit chaque année, tout est possible en termes de tailles, de couleurs ou de matériaux. Je suis aussi sollicité par des marques qui me disent : « On aime votre approche. »
On imagine pourtant mal un architecte d’intérieur travailler pour l’industrie ?
Pour Minotti, personne ne l’imaginait, puisque depuis vingt ans c’était l’architecte Rodolfo Dordoni qui coordonnait les collections. Il n’y a donc pas eu beaucoup de designers invités. C’est conforme à leur histoire : Minotti, c’est une famille qui a entretenu une relation privilégiée avec Rodolfo. Mais, l’année dernière, ils ont eu envie d’avancer dans leur approche.
Qu’entendez-vous par « faire avancer » un éditeur de mobilier ?
Quand il y a dix ans, j’ai dessiné la bibliothèque Legend avec Roche Bobois, ils n’étaient pas du tout dans l’éco-conception. Moi, cela m’a intéressé de proposer ça à un industriel. C’est une discussion que j’avais eue à l’époque avec François Roche. Il était temps de le faire. Sans que ce soit le but, j’espère qu’on se rappellera de quelle façon cette pièce reflète son époque.
Tout bon éditeur devrait ainsi se réinventer ?
Éprouver son propos, je dirais. Se demander de quelle autre manière travailler. Penser à ce qu’on peut faire d’autre. J’ai vraiment été interrogé là-dessus. Avec Minotti, cela a été une belle rencontre entre fabricants : moi, designer artisan avec une fabrication française, et eux, industriels italiens de haute facture.
Votre côté « sur-mesure » rend discrètes vos collaborations avec des éditeurs industriels…
C’est vrai qu’on ne communique pas beaucoup dessus, mais je tiens fort à ces collaborations. Avec elles, j’apprends énormément. Au départ, j’ai vraiment commencé par la fabrication. J’ai appris dans les ateliers. Céramique, ébénisterie, ferronnerie, textile… Tout ! C’est ce qui m’a donné l’envie de faire ce que je fais aujourd’hui. Pour moi, c’est dans la construction qu’un produit s’élabore. Quand j’ai une idée, je pense d’emblée à celui qui va la réaliser.
Pourriez-vous concevoir des objets rigolos, chez Alessi par exemple ?
Oui, parce que la forme pure m’intéresse aussi. En plus, j’aime les contenants, les pièces d’usage. J’en ai fait pour Collection Particulière, j’aime beaucoup ça. Parce que ce sont des objets avec lesquels on est en contact. Il n’y a pas de frontières entre les objets et les meubles. Les vases de Collection Particulière sont des prouesses techniques. On est obligé de pincer le marbre, les ovales se déforment… Rien n’est droit, surtout pas. J’aime la poésie qu’il peut y avoir dans ces objets qui, rassemblés, forment un paysage.
Comment voyez-vous les clivages entre designer, architecte d’intérieur et décorateur ?
Les choses ont changé. Désormais, on va d’un univers à un autre plus facilement. Les opportunités se font au gré des rencontres. J’ai toujours évolué dans mon métier grâce à des gens qui sont venus me voir, clients, fabricants ou industriels. Bien sûr, le goût s’affine avec le temps, mais je trouve qu’il faut rester ouvert. Je ne suis pas dans le dessin signature qui se cale à l’identique chez tout le monde.