Exclusif : Entretien avec l'architecte Charles Zana

L’architecte Charles Zana dessine des hôtels, des appartements, des boutiques et des restaurants dans un style à la fois rigoureux, luxueux et lumineux. Quand nous l'avons rencontré dans son atelier parisien, il planchait sur le restaurant de Guy Martin à Roissy et l’hôtel Kensington à Londres. Mais son grand projet du moment, c’est l’exposition « Sottsass-Scarpa, dialogue », qu’il met en scène à partir du 13 mai à la Biennale de Venise. Rencontre.

C’est par l’art que vous êtes devenu architecte. Comment s’est définie cette orientation ?
Très jeune, je me suis intéressé à l’art sous l’impulsion de mon père, qui était collectionneur. Dans les années 70, on se penchait surtout sur l’art moderne et les arts décoratifs, pas vraiment l’art contemporain. Moi, je me passionnais pour les impressionnistes, les surréalistes, les mouvements d’avant-guerre, que je découvrais surtout à travers des livres de l’éditeur Skira ou dans les musées. À l’époque, il y avait moins de galeries. Parallèlement, j’étais assez bon en géométrie et en mathématiques… Le métier qui semblait regrouper ces deux spécificités était architecte. Or, je connaissais mal cette discipline. Je me suis donc lancé dans des études d’architecture aux Beaux-Arts. En réalité, j’y ai suivi très peu de cours d’art, beaucoup plus de technique, mais cette expérience m’a permis de baigner dans un environnement artistique et de fréquenter une certaine scène émergente. C’est donc par l’art davantage que par la construction que je me suis intéressé à l’architecture.

C’est cette culture qui vous a conduit à réaliser des intérieurs pour les collectionneurs ?
Comprendre, baigner dans un monde de culture nous a permis très tôt de collaborer avec une clientèle de collectionneurs, plutôt plus sensibles à l’Art déco au début, puis, plus récemment, à l’art contemporain.

Charles Zana, architecte amateur d’art bien-aimé des collectionneurs, pour lesquels il conçoit des intérieurs qui ont de l’âme… et de l’esprit.
Charles Zana, architecte amateur d’art bien-aimé des collectionneurs, pour lesquels il conçoit des intérieurs qui ont de l’âme… et de l’esprit. DR

Si les collectionneurs se multiplient, l’art infuse de plus en plus de lieux différents…
Si les collectionneurs ont toujours existé, le phénomène des commandes spéciales à des artistes pour un lieu donné, des œuvres in situ, est assez nouveau. Aujourd’hui, on constate que des collectionneurs ont envie de commander des pièces particulières pour des projets spécifiques, ce qui, auparavant, relevait plutôt de la commande publique. L’autre phénomène majeur que l’on peut observer, c’est que l’art ne se cantonne plus aux musées ni aux résidences privées mais qu’il s’invite aussi dans les hôtels, les restaurants et les extérieurs.

Quel est votre rôle auprès des collectionneurs ? Jouez-vous celui de curateur ? Participez-vous au choix des œuvres ?
Notre métier est de mettre en scène les œuvres. Nous regardons où elles peuvent se situer, quels seraient les formats idéaux… et l’accrochage adéquat. Pour résumer, nous mettons en scène des intérieurs autour de collections. En revanche, nous donnons très peu de conseils concernant l’achat, car ce marché est très structuré entre les galeries, les maisons de vente aux enchères et les consultants. J’incite parfois les gens à aborder un type de collection, mais ça ne fait pas de moi un curateur.

Une pièce peut-elle être construite autour d’une installation ?
Bien sûr. Si vous avez une œuvre de James Turrell, il vaut mieux l’installer dans une pièce très sombre pour la valoriser. De la même façon, il est préférable d’anticiper l’arrivée d’un cabinet de curiosités de Mark Dion dans une maison. Mais, plus simplement, je peux dessiner une pièce avec un format particulier en fonction du volume et des dimensions des œuvres qu’elle recevra.

Scénographie de la vente inaugurale de la maison de vente aux enchères Piasa, en 2013, consacrée au design italien.
Scénographie de la vente inaugurale de la maison de vente aux enchères Piasa, en 2013, consacrée au design italien. Jacques Pepion

Comment travaillez-vous avec les artistes ?
À la maison, on veut vivre avec ses œuvres, manger avec elles, recevoir ses amis…  Comment éviter l’effet musée ? À chaque fois, j’œuvre pour que les choses aient l’air d’avoir été posées librement et j’essaie surtout, dans la scénographie des espaces, de révéler la personnalité de chaque collectionneur. On y arrive justement en personnalisant l’accrochage : par l’accumulation, par un éclairage plus faible que dans une institution, mais aussi en proposant un accrochage plus « humain ». Je me souviens de ce client, propriétaire d’une photo monumentale qui était un peu cachée par un meuble. Pour moi, ce n’était pas un problème, c’était moins muséal. Je me souviens aussi de la maison du propriétaire de la Fondation Maeght dans les toilettes de laquelle il avait installé un petit Picasso. Humour, trait d’esprit ou hasard ? Il faut savoir surprendre, accumuler : un vase sur un meuble, c’est muséal, dix vases, c’est une vision personnelle. Il faut oser des hauteurs d’accroche inattendues. Les Italiens adorent disposer leurs tableaux au-dessus des portes, par exemple…

Et dans les lieux publics ?
Dans les restaurants, il faut faire entrer les œuvres prévues très tôt dans le projet. Le dialogue avec l’artiste doit avoir lieu dès le début. Il faut proposer quelque chose qui claque, qui procure une émotion.

Scénographie de la vente inaugurale de la maison de vente aux enchères Piasa, en 2013, consacrée au design italien.
Scénographie de la vente inaugurale de la maison de vente aux enchères Piasa, en 2013, consacrée au design italien. Jacques Pepion