On dit d’elle que son talent réside dans sa capacité déconcertante à instaurer, l’air de rien, une atmosphère chicissime partout où elle officie. De son showroom lyonnais aux allures de loft dans le quartier des antiquaires, rue Auguste-Comte, à ses chantiers raffinés, l’architecte d’intérieur Claude Cartier sait effectivement provoquer l’émotion. La propriétaire de cet appartement lyonnais lui a par conséquent témoigné une confiance à la hauteur de ses capacités, en lui laissant carte blanche.
Ce qui pourrait sembler difficile avec d’autres est aisé avec Claude Cartier, surtout lorsqu’on connaît la richesse de son univers, nourri de références variées, dans le mobilier contemporain autant que dans la mode. Ainsi, au premier rendez-vous, la décoratrice n’est pas venue les mains vides : dans ses affaires, trois boîtes pleines des références qui lui sont chères, tant décoratives que culturelles ou stylistiques. Une façon aussi visuelle que sympathique de tracer quelques lignes directrices, mais aussi quelques limites. Avec Fabien Louvier, avec qui elle a collaboré sur ce projet, réalisant un travail à quatre mains, elle révèle : « On a fait un exercice où il a fallu sans cesse naviguer entre l’arty hors piste et l’architecturé, le construit. » Cette approche a été rendue possible grâce à sa parfaite maîtrise de l’alchimie rare et délicate mélangeant les styles et les lignes sobres, les aspects très définis et d’autres plus artistiques. Quand beaucoup ne font qu’un travail de surface, Claude Cartier a compris que ses clients cherchent à s’approprier le design et la décoration, sans jamais perdre de vue le confort.
Si son éventail d’éditeurs de prédilection est large, il n’est certainement pas dénué d’audace. Aux cuirs gras et moelleux de Baxter, elle marie ceux, tressés, de Bottega Veneta, liant l’ensemble grâce aux assises généreuses de Flexform. Le grand salon devait réunir les fonctions de pièce de réception, de bureau et de salon familial, bien sûr. Il a donc fallu définir des espaces dans l’espace, tout en brouillant les pistes pour recréer une certaine unité, selon l’envie et les circonstances. C’est là le rôle de trois bibliothèques pivotantes, placées derrière le bureau et adossées au mur qui sépare la cuisine du salon. Côté pile, les colonnes dévoilent des livres, pour une ambiance studieuse. Côté face, elles sont recouvertes du même papier peint que celui de la cloison, une jungle en noir et blanc, pour mieux se fondre dans le décor et disparaître, faisant place à une convivialité subtile. La pièce arbore aussi, pour son mystère et son élégance, un bleu sombre qui définit cette zone de calme où l’on sent déjà pointer la nuit. Une couleur intense, qui gagne encore en profondeur par sa confrontation au velours mordoré d’une banquette aux lignes d’une déconcertante simplicité. Autre détail précieux : à la sobriété filiforme des appliques de Serge Mouille répondent la luxuriance d’un lustre à gouttes de verre de chez Ochre et les branches délicatement torturées d’une pièce de Baccarat. Comme si, en toute chose, devait opérer le phénomène des vases communicants, un jeu de questions auxquelles Claude Cartier refuserait de répondre. Les renfoncements et les tableaux, comme en surimpression, lui permettent aussi de redessiner l’espace. Derrière le bureau, une niche recouverte d’un élégant tressage de cuir et, derrière la banquette, une forêt en noir et blanc, comme une gravure ancienne, captent l’attention.
L’esprit d’ouverture
Quant au coin salle à manger, c’est un soubassement rouge vif qui le délimite. Une astuce que l’on retrouve également dans la chambre, où deux niches, elles aussi tapissées de papiers peints Cole and Son et Hermès, animent la pièce et ouvrent un peu plus l’espace. Ouverture toujours, mais d’esprit cette fois-ci : à côté d’éditeurs incontournables comme Maxalto, Claude Cartier a eu l’intelligence de faire une place aux nouveaux venus. Une bibliothèque de Charles Kalpakian et un tabouret de Note Design Studio, pièces sculpturales du jeune éditeur La Chance, se mêlent aux jeux de matières sensuelles et de cuirs des pièces du label Collection Particulière. Un éclectisme savant, certes, mais toujours juste et sincère et, surtout, jamais condescendant. Le fruit d’une culture avant tout, de celles qui font qu’entre India Mahdavi et Joseph Dirand, entre autres références, on refuse de choisir. De celles qui mènent à l’audace raisonnée.