Printemps, été, automne, hiver… et printemps. On aimerait déjà que cette première collaboration entre Iittala et Issey Miyake se prolonge au-delà des impératifs du calendrier des collections. Les maisons de mode sont, depuis peu d’ailleurs, désireuses de défier ce rituel, afin d’unifier leurs collections et de courtiser au mieux la clientèle des deux hémisphères qui, elle, ne subit pas les saisons de manière uniforme. En attendant que le « see-now-buy-now » (la disponibilité immédiate des produits dès leur présentation aux prescripteurs) se généralise pour mieux garnir nos placards et s’étende au domaine de la décoration, cette gamme inédite aux couleurs des cerisiers du Japon souffle un vent nouveau sur le secteur du lifestyle.
Sans chercher à glisser sur la vague de la première rétrospective dédiée à Issey Miyake (au National Art Center de Tokyo, jusqu’au 13 juin), le partenariat du styliste avec l’entreprise finlandaise réitère une expérience de « sculptures en papier » baptisées « IN-EI », « mises en lumière » par l’éditeur italien de luminaires Artemide. Aujourd’hui, parmi les trente nouveautés proposées, les textiles pliés à chaud et à la main, avec rainures et chevrons, paraissent irrigués du même esprit mathématique que celui suivi par les luminaires dérivés de l’origami et édités en 2012. Elles rappellent les fameuses lignes « 132 5 » et « Pleats Please » du couturier. C’est sa signature : une innovation qui impose que, lors du processus de confection, un tiers du polyester nécessaire à l’élaboration des pièces « s’évapore » du fait du pliage.
Avant qu’il ne prenne les rênes du design chez Iittala, Harri Koskinen avait dessiné un flacon de parfum et une montre pour Issey Miyake. Le souhait d’un projet commun, évoqué alors, est devenu réalité avec Sawako Ogitani, directrice du studio Miyake, et avec Jeremiah Tesolin, récemment arrivé à la création chez l’éditeur finlandais. Pour cette entreprise du groupe Fiskars, propriétaire d’autres manufactures éminentes comme Royal Copenhagen, le marché asiatique est une terre fertile. Du côté japonais, on pense que le succès d’Iittala se niche dans les créations de ses maîtres modernistes qui, à l’exemple d’Alvar Aalto et de son vase Savoy (1936), dont la base paraît dessiner le contour d’un lac, ont partagé une approche holistique du design, similaire à celle du pays du Soleil-Levant. Une approche qui s’inspire des formes de la nature et est à la recherche d’usages pouvant en découler. Pendant quatre ans, quelques pauses en marge du rythme effréné des collections de l’un et de l’agenda industriel de l’autre ont permis aux deux firmes d’explorer sans précipitation la notion d’harmonie.
Un mariage qui porte ses fruits
Le résultat, pur et stylisé, n’est pas sans rappeler les œuvres et objets usuels du Mingei, mouvement artisanal clé du XXe siècle au Japon. Que la forme pentagonale de ces assiettes, bougeoirs, tasses, soucoupes et soliflores évoque l’asymétrie des végétaux, tout comme les serviettes, sets de table, housses de coussin arborent les couleurs des fleurs et branches des sakura (les cerisiers roses ou blancs du Japon), n’enferme pas pour autant cette offre dans un cliché oriental univoque. La collection dresse au contraire un intéressant pont entre le Japon et la Finlande qui vise, dans sa beauté presque naïve, à intégrer de nouvelles formes à notre quotidien, qu’il s’agisse de mode ou de design. Dans ce lot, la Fleur de table est une curiosité qui ne correspond à aucun objet connu des Français. Elle sera certainement utilisée par les Japonais comme o-miyage (cette élégante coutume du souvenir de voyage que l’on rapporte à sa famille). Mais cette délicate bizarrerie est aussi celle qui – avec le cabas édité pour l’occasion, rappelant le best-seller Bao Bao de Miyake – cristallise le mieux cette collection et qui, cet hiver, a exercé la plus forte séduction auprès des professionnels, à Copenhague et à Paris. Face à ce succès, l’ensemble se voit aujourd’hui proposé à la vente en même temps qu’il est présenté à Milan, pendant le Salone del Mobile 2016… À l’âge vénérable de 135 ans, pour Iittala, c’est plutôt flatteur.