La devise de l’endroit, « We are open », jouerait-elle franchement sur les mots ? Des néons qui clignotent, un porte-jarretelles qui claque, Pigalle la Blanche tient encore son fantasme de quartier rouge seventies, à l’instar d’Amsterdam ou Shanghai. Las ! Gentrification oblige, les strip-teaseuses se sont rhabillées, se rincer l’œil est montré du doigt. Hôtels de passe versus boutique-hôtels, bars d’hôtesses versus bars à cocktails, sex-shops versus concept-stores, rades glauques versus « gastrothèques », pendant que la Nouvelle-Athènes prenait pour pseudo SoPi (South Pigalle), le Wall Street Journal qualifiait le coin de « quartier le plus excitant de Paris ». Pourtant, mauvais garçons et filles de joie ont peu à peu déserté les trottoirs du Pigalle-couche-toi-là, laissant la physionomie de ce village parisien flirter avec le lifestyle d’une époque moins interlope, fêtarde avec modération et vice versa.
Hipsters connectés, baristas barbus ou blogueuses en mal de followers y sont les nouveaux dealers d’un luxe lisse et sans luxure. À rebours d’une amnésie programmée, Le Pigalle, hôtel nouveau, tient, lui, à réveiller cet ADN de quartier chaud lapin et à se réinventer en maison de rendez-vous bien gaulée, le temps d’un verre, d’une nuit ou d’un café. Un revival orchestré par une dream team de pygmalions familiers sachant faire mousser les plaisirs à coups de provoc’ vintage et de « collabs » piquantes et délurées. La jeune agence Festen – Charlotte de Tonnac et Hugo Sauzay – a pris en main les préliminaires, bousculant les conventions, rechapant le terrazzo, décloisonnant quarante chambres de 12 à 35 m2 – une suite désirable au dernier étage en guise de climax. Les années 80 partouzent avec l’enfilade scandinave, les fauteuils crapaud avec la moquette léopard, les vasques en marbre cheap avec le bar à discrétion. Charlotte de la Grandière (Rue Hérold) se cache derrière les rideaux, les coussins et les plaids, et Alexandre Guillemain, marchand expert en XXe siècle, sous les tables basses et les courbes pulpeuses. Le Labo a déposé des senteurs parfumées. Pour un peu, on croirait occuper la chambre d’un couple d’amis partis à l’aventure. Aux murs, leurs photos et dessins encadrés, une sex-tape et l’affiche de leur film préféré dessinent une imagerie intime, moins porno que graphique – amoureusement mise en scène par le Studio be-pôles (oui, ceux-là mêmes qui éditent les jolis petits carnets Portraits de ville). Dans la bouche glossy du sous-sol, susurre un juke-box, un vrai, farci de pépites sonores. Car le cœur du réacteur est sans conteste le projet musical : une bande-son über sexy qui se déhanche du ground floor, avec DJ set en soirée et corner « pole dance » assumé, jusqu’à certaines chambres fièrement dotées d’une platine vinyle et d’un choix de galettes atmosphériques dénichées par le disquaire Victor Kiswell.