À lire le nom des rues avoisinantes, on imagine aisément un passé monastique, rustique et ripailleur : rue des Chartreux ou des Remparts-aux-Moines, du Vieux-Marché-aux-Grains, des Poissonniers ou du Houblon… Il est plus difficile de s’imaginer que dans les années 80, ces mêmes artères, où s’alignent aujourd’hui les boutiques trendy, ont flirté avec les bas-fonds, au point d’être taxées de Petit Chicago. Voilà pourquoi on salue encore le courage de Sonja Noël, celle qui a tout changé. En 1984, cette historienne de l’art décide d’ouvrir Stijl, un magasin de mode dans la rue Antoine-Dansaert. Un espace qu’elle consacre à la jeune création belge, notamment aux collections du groupe d’Anvers, de Walter Van Beirendonck à Dries Van Noten et Ann Demeulemeester. Audacieux en effet, et même visionnaire, au beau milieu des quincailleries sur le déclin et des loubards en blouson de cuir ! Surtout que, depuis le XIXe siècle, les quartiers chic de Bruxelles (Forest, Ixelles ou Saint-Gilles) étaient situés en périphérie, avec leurs maisons de maîtres et leurs vastes jardins. Le « retour au centre » qui s’opère actuellement était encore loin d’être envisagé. Or, la rue Dansaert se trouve à dix minutes à pied de la Grand-Place…
Renouveau commercial et culturel
C’est donc sous l’impulsion de l’enseigne Stijl que les boutiques de mode ultra-pointues se sont multipliées dans les années 1990 et 2000, les plus marquantes étant la Maison
Martin Margiela (lancée aussi par Sonja Noël) et le boudoir de lingerie Art déco de Carine Gilson. Mais heurs et malheurs, astres et désastres, depuis quelques années, de grandes chaînes de panoplies fashion, que l’on retrouve sur le dos des New-Yorkaises comme des Singapouriennes, colonisent la rue Dansaert, brisant ainsi le sceau de la singularité et de l’exclusivité.
« Qu’à cela ne tienne », se sont dit les « vrais » commerçants du quartier. Et de se déplacer. Aujourd’hui, c’est autour de la rue Léon-Lepage, de la rue des Chartreux et de la place Sainte-Catherine que se situe l’action. Et pas seulement celle de la mode. L’art, le design, le culinaire… tout un maelström de créativité anime désormais façades Art nouveau et bâtiments modernistes. La rue de Flandre, parallèle à Dansaert, s’est d’ailleurs nouvellement muée en épicentre de la gastronomie. San, Gramm, Selecto et Chicago (clin d’oeil aux années 80) proposent du locavore et de l’inventif. Sans doute un avatar de la vocation initiale, médiévale, du quartier : faire bonne chère…
Ambition rime avec création
Dans ce bouillonnement, le design s’affirme. Grâce aux boutiques de mobilier bien sûr, mais plus encore au MAD Bruxelles (Mode & Design Center), un organisme de la ville
qui a pour objectif le soutien à la création et qui s’est s’implanté l’automne dernier sur la place du Nouveau-Marché-aux-Grains, dans un bâtiment de 3 000 m2 rénové à grands
frais. Cela affirme l’identité artistique de ces rues qui accueillent aussi de belles galeries et la Centrale, espace dédié depuis dix ans à l’art contemporain. La tendance est donc à l’expansion, notamment géographique. La rue Dansaert, qui s’arrête là où commence le canal, puis se transforme en Chaussée-de-Gand, semble gagner du terrain. Sur l’autre rive, autrefois très industrielle, fleurissent quelques cafés et hôtels. Le Meininger, installé depuis 2013 dans une aile de l’ancienne brasserie Belle-Vue, aura bientôt pour voisin le MIMA, Millenium Iconoclast Museum of Art, qui ouvrira ses 1 000 m2 au printemps. L’initiative de ce lieu dédié à la « culture 2.0 », où dialogueront aussi bien les mondes du skateboard que du street art, du tatouage que du cinéma, revient en partie à Alice Van den Abeele et Raphaël Cruyt, déjà aux manettes d’Alice Gallery. « Nous avions depuis un moment l’idée d’un projet plus ambitieux », déclare le couple. Cela tombe bien, il semblerait que l’ambition soit justement la spécialité du quartier.…