Hella Jongerius trouve très sain de vivre dans une autre culture que celle dans laquelle elle a grandi. « Pour qui se cherche, c’est la possibilité de se trouver », affirme cette Néerlandaise qui s’est installée en Allemagne. Dans le splendide Danskina Atelier de Lauriergracht, parmi ses trois collaboratrices, Edith Van Berkel est celle qui la seconde depuis quinze ans. Une sorte de bras droit pour le textile. « Comme s’il y avait ici une sorte d’Hella bis », dit Jongerius. Qu’elle soit présente ou pas, chacune donne son avis avant de prendre une décision. Et toutes fréquentent fournisseurs, tisserands et tricoteurs. Le fil peut venir d’un fabricant néo-zélandais ultra-select et être tissé en Inde. Le but est de solliciter des savoir-faire mais sans atteindre des prix publics stratosphériques.
Concevoir un tapis peut prendre deux ans. Les discussions de travail portent jusque sur le choix du fil. Ce qui n’empêche pas Hella de continuer à expérimenter sans avoir en tête une idée précise du produit final. « C’est même pour moi la seule façon d’innover. C’est comme ça que nous élaborons un nouveau vocabulaire. C’est ce qui est le plus difficile », plaide-t-elle. Son studio prend aussi en compte les contraintes du design industriel. À quoi bon choisir le plus beau fil s’il est trop épais pour les métiers à tisser ?
Dans le studio cosy de Lauriergracht, chacune résout des questions très pragmatiques avec des interlocuteurs extérieurs. Car la création de tapis et de tissus ne se résume pas à la définition des motifs et couleurs. Elle s’étend à l’invention de nouveaux procédés et techniques. Les échantillons accrochés au mur sont le fruit de nombreux essais. Les collaboratrices de Danskina étudient par exemple la façon dont le tissage va déterminer la couleur d’un tapis. Les textiles maison possèdent, sans patine artificielle, l’aspect de ce qui a vécu. Comme une preuve du fait main chevillé au corps de cet éditeur. « L’outil est la frontière contre laquelle je me bats pour jouer avec », dit-elle.
Vers une « jongerisation » des textiles
Danskina travaille ainsi avec des ateliers indiens et écossais. Aux Pays-Bas et au Danemark, les artisans travaillent surtout pour le « contract », le secteur des bureaux et hôtels. « J’essaie de provoquer un ressenti d’univers domestique dans le monde du contract », affirme Hella. Traduction : elle veut proposer aux lieux publics autre chose que du grossier textile anti-feu ! Il y a trois ans, elle a débuté une collection de tapis pour se secteur. La « jongerisation » textile des hôtels et bureaux inspirera peut-être aussi le grand public… La designer constate déjà une grande évolution dans les boutique-hôtels. Son langage mise sur le graphisme et la sobriété. « Installer un tapis, c’est construire un pont sur le plancher reliant différentes pièces de mobilier. Les tapis qualifient l’espace », plaide-t-elle. Les siens restent irréguliers, mêlant audacieusement, comme avec Cork, le feutre au liège. « Je n’aurais jamais fait ça toute seule », conclut Hella… mettant ainsi au tapis toute velléité de tirer la couverture à soi.