Il aura fallu du temps et un certain concours de circonstances pour accoucher du Zeitz Mocaa, un projet qui a coûté 38 millions de dollars. L’histoire démarre il y a plus d’une dizaine d’années, quand l’administration de V&A Waterfront, un important complexe commercial aménagé depuis 1988 dans la zone portuaire, se pose la question de l’avenir d’un silo désaffecté depuis 1990 mais classé au patrimoine historique de la ville.
C’est Ravi Naidoo, instigateur du célèbre festival Design Indaba, qui, en 2006, présente Thomas Heatherwick, venu donner une conférence au Cap, à l’équipe du V&A Waterfront. Il se trouve que, dans le même temps, l’homme d’affaires allemand Jochen Zeitz (ex-patron charismatique et humaniste de la marque Puma) est en train de constituer une collection d’art contemporain exclusivement composée d’œuvres produites par des artistes africains. C’est le conservateur de musée sud-africain Mark Coetze qui l’accompagne dans cette mission et réfléchit à l’idée de rendre ce fonds public. Évidemment, lorsque les deux initiatives ont écho l’une de l’autre, elles apparaissent très complémentaires. Une aubaine autant pour V&A Waterfront de se doter d’une offre culturelle déjà quasi constituée que pour Zeitz qui trouve ainsi le financement pour ériger une institution qui lui est entièrement consacrée.
Pour autant, le challenge est de taille, même pour Heatherwick, connu pour mener des projets qui ne laissent jamais indifférent, notamment le pavillon britannique de Shanghai Expo 2010 et bientôt les bureaux de Google dans le quartier londonien de King’s Cross. Car il se retrouve avec un bâtiment un peu particulier à transformer. Si, habituellement, les friches industrielles se marient plutôt bien avec l’art contemporain, comme au CAPC à Bordeaux, au PS1 à New York et, bien sûr, à la Tate Modern à Londres, celle-ci, un silo bâti en 1921, est constituée de 42 tubes en béton de 6 mètres de diamètre.
Devant aménager des espaces propices non seulement à des expositions mais aussi à la formation, à l’archivage, au stockage des œuvres, l’architecte n’entend pas pour autant faire table rase de l’existant. « Ce que j’ai réalisé ici, je n’aurais pas pu le faire dans un bâtiment neuf car cela n’aurait eu aucun sens », déclarait-il le jour de l’inauguration, le 22 septembre dernier. S’il s’active à partitionner les lieux en quelque 80 galeries, il prend aussi la décision de créer un vaste atrium en excavant certains des tubes.
Heatherwick s’appuie sur la forme d’un grain de maïs qu’il agrandit à l’échelle du bâtiment pour obtenir un volume que les ouvriers vont réaliser – c’est-à-dire creuser dans le béton – à l’aide de scies en diamant. Il s’agit évidemment du premier espace que découvre le visiteur. Un peu comme si celui-ci se trouvait d’un seul coup au cœur de la machine. « Si cela avait été possible, j’aurais aimé que l’on puisse présenter la forme “positive” devant le silo, afin que le public fasse encore mieux le lien entre l’intérieur et l’extérieur. »
Ce principe de révéler l’existant, Heatherwick l’a dès le départ adopté en faisant retirer la couche de peinture beige qui dissimulait la beauté du béton. L’édifice a soudain pris une autre dimension, plus brutaliste, d’autant que s’en détachait une texture constituée de minéraux collectés aux alentours. Et, pour mettre encore plus en lumière la structure de l’outil industriel, il décide d’apposer sur ses 56 ouvertures des parois vitrées à facettes dont la surface est incurvée.
« Cette structure triangulée permet de créer une transparence que des parois en verre à plat ne peuvent procurer. Je ne voulais surtout pas que le projet fini ressemble à un banal immeuble de bureaux. De plus, ce dispositif traduit plutôt bien l’énergie qui bouillonne à l’intérieur », confie l’architecte. Il a en effet vu juste, car l’ajout de ces modules fait d’emblée entrer le bâtiment des années 20 dans l’époque contemporaine. Et en plus d’abriter le musée, le silo, fort désormais de 9 500 m2 de surface utile, accueille aussi, dans sa partie la plus élevée, un hôtel de luxe.
Espérons que la cohabitation des deux structures ne profite pas avant tout à une certaine élite, et que la mission de service public annoncée à l’ouverture – attirer le plus grand nombre – demeure au rendez-vous…
Zeitz Mocaa. V&A Waterfront, Silo District, Cape Town.
Tél. : +27 87 350 4777.