« Ce que j’ai le mieux réussi dans ma vie, c’est ma façon de vivre », déclare Ward Bennett en 1981 dans l’émission télé culte Interior Design: The New Freedom. Bennett, 64 ans, n’y plastronne pas. Pourtant, sa vie est un roman. Né Howard Bernstein, à Washington Heights, dans le nord de Manhattan, ce fils d’un comédien devenu courtier en assurances quitte école et famille à 13 ans. Il livre alors de la lingerie chez Chin Chin Crepe. Le soir, il prend des cours de dessin de mode et le voilà bombardé fashion designer chez Jo Copeland ! Il intègre ensuite le grand magasin Saks Fifth Avenue pour lequel il dessine des robes de mariée… à 14 ans !
Le label Joe and Junior l’envoie à Paris dessiner des croquis des défilés de mode. Il n’a pas 16 ans et s’abreuve de tout. De retour à New York, il est étalagiste le jour et étudiant le soir. Après ses cours chez le peintre Hans Hofmann, il retrouve sa colocataire, la sculptrice Louise Nevelson. Il expose ses céramiques au Whitney Museum of American Art en 1944 et, au MoMA, ses bijoux inspirés d’un voyage au Mexique. En 1947, il retourne à Paris suivre les cours du sculpteur Brancusi. Mais sa rencontre avec Le Corbusier l’en détourne.
Selon le directeur du magazine Metropolis, Paul Makovsky, qui prépare un ouvrage sur le designer, « Bennett est un artiste, un créateur et un showman qui a su se réinventer. Son désir de réduction à l’essentiel lui a ouvert une voie intemporelle. » En 1947, Bennett réalise son premier chantier, un penthouse sur Fifth Avenue avec planchers en liège, bibliothèques blanches et jetés de lit en fourrure, du jamais vu. Il laisse surtout respirer l’espace et conserve les éléments de construction typés industriels. Il lance le conversation pit, un salon en forme de fosse circulaire. En 1960, le banquier David Rockefeller lui commande les bureaux de la Chase Manhattan Bank. En cinquante ans, Bennett a signé une centaine de chaises éditées par Herman Miller, Lehigh Furniture et Brickel Associates. Ses clients privés l’ont apprécié, tel Jann Wenner, fondateur du magazine Rolling Stone, propriétaire de quatre maisons et d’un bureau signés Bennett. Quant au designer Joe D’Urso, qui a débuté aux côtés de ce solitaire, il est formel : « Ward Bennett, qui dessinait de tout, est un homme de la Renaissance. »