Comment un Français peut-il montrer un photographe américain aux Américains ?
Je ferais référence à une œuvre de Man Ray, Le Pain peint (1958), une baguette peinte en bleu. Lorsque Man Ray est arrivé à Paris au début du XXe siècle, il a immédiatement été sensible aux homonymes, ce genre de jeux de mots que seul un étranger peut se permettre de faire parce qu’il est alors touché par ce qui peut paraître ordinaire. Je n’aurais jamais été aussi réceptif à la question du vernaculaire chez Walker Evans si j’avais été américain.
La saison la plus photogénique à San Francisco ?
Toute l’année ! La lumière est si belle… Quand le brouillard se lève, le ciel est d’une grande clarté.
Et le quartier ?
Castro, ancien quartier gay dans lequel il reste encore beaucoup d’exubérance. Harvey Milk, le fer de lance de la cause homosexuelle, y tenait un magasin de photo qui existe toujours…
Si San Francisco était une couleur ?
Orange, la couleur du pont du Golden Gate.
Un musée qui présente de la photo à San Francisco ?
Le SFMoMA, bien sûr. On y trouve le plus grand espace consacré à la photo dans un musée d’art, avec 1 000 m2 et cinq expositions par an.
Le photographe qui a le mieux saisi l’esprit de la ville ?
Nous venons de faire entrer dans nos collections un ensemble de Hal Fischer, photographe de San Francisco. Sa série « Gay Semiotics : A Photographic Study of Visual Coding Among Homosexual Men » est époustouflante. Il y montre tous les codes vestimentaires des homosexuels, de la façon dont on lace ses Converse à celle dont on laisse dépasser un foulard d’une poche.
Votre quartier fétiche ?
Castro, absolument magnifique avec ses maisons en bois aux couleurs bigarrées.
Votre cantine ?
Le Palace Hotel, sur New Montgomery Street, qui ne paye pas de mine de l’extérieur. J’aime beaucoup son restaurant sous une immense verrière. Ce bâtiment a conservé un esprit 1900. Quand je déjeune là, j’ai l’impression de me retrouver au Petit ou au Grand Palais…
Le dernier spot que vous avez déniché ?
Le Marais, un petit café qui vient d’ouvrir à l’angle de la 18e et de Sanchez. Il se donne des airs de café français avec son comptoir en zinc et ses tables en marbre. C’est aussi là que j’achète ma baguette de pain. On a beau essayer de s’intégrer, il y a toujours des choses auxquelles on tient.
La plus belle vue ?
Depuis Dolores Park, qui offre un panorama magnifique sur la ville, les gratte-ciel et la baie au loin. Après une journée de travail ou d’écriture, j’aime m’y asseoir sur un banc. Le week-end, les gens s’installent sur des couvertures pour discuter et pique-niquer.
Un lieu secret ?
La Coit Tower, une tour en forme de monument érectile, pour ses fresques murales des années 30 représentant les travailleurs qui participent à l’édification de l’Amérique.
Où s’échapper de San Francisco ?
À Bodega Bay, un lieu extraordinaire, mélancolique, à une heure de voiture en longeant la baie. C’est là que Hitchcock a tourné Les Oiseaux.
Une alternative à SF dans le monde ?
Il n’y en a pas, l’ambiance y est tellement extraordinaire ! San Francisco doit à son histoire d’être incroyablement accueillante ; il y règne une grande bienveillance. C’est la synthèse parfaite entre la ville typiquement américaine et le petit village de maisons en bois. Elle est aussi dotée d’un incroyable réseau de transports en commun.
Un objet typique à rapporter chez soi ?
Des « sand dollars », ces oursins extrêmement plats qui, secs, ressemblent à des pièces de monnaie. Des vestiges d’animaux marins venus se déposer sur le sable. Partir à leur recherche, c’est comme se lancer dans une chasse aux trésors.
Comment le reste du monde peut-il s’inspirer de la ville ?
Quand on aborde des questions philosophiques, liées au futur, avec ceux d’ici qui travaillent dans les nouvelles technologies, on se rend compte que San Francisco est un lieu où il y a encore des utopies. C’est tellement rare que ça mérite d’être signalé !