Les 17 plus grandes designeuses du 20e siècle à connaître absolument

D'Eileen Gray à Andrée Putman, voilà les créatrices qui ont marqué l'histoire du design à jamais.

Malgré la variété de leurs profils, les plus grandes designeuses du 20e siècle ont en commun d’avoir évolué dans des milieux majoritairement masculins. Un sujet qui n’en est pas forcément un pour chacune d’elles. D’ailleurs, la sélection de créatrices et d’objets présentée ici prouve que le design n’appartient à aucun sexe !

1 – Eileen Gray (1878-1976)

En 1922, à Paris, la designeuse irlandaise Eileen Gray ouvre sa galerie sous le nom de Jean Désert. Dandysme ou brouillage de l’image attendue d’une décoratrice ? Il semble en tout cas qu’aucun homme n’ait eu à faire ce type de contorsion… Eileen Gray est pourtant brillante, comme l’a bien compris Le Corbusier, qui fouinait sur le chantier de sa villa E-1027, à Roquebrune-Cap-Martin (Alpes Maritimes). À la fois architecte, peintre, laqueuse et as du textile, elle est associée à l’Art déco mais aussi au Bauhaus, passée du paravent en brique de bois laqué noir à l’iconique table-guéridon E 1027 en verre et acier. De ses tapis graphiques au fauteuil Bibendum, les trésors de la créatrice ont enrichi l’histoire du design et le catalogue de l’éditeur allemand ClassiCon, faisant d’elle une pionnière.

Eileen Gray (1878-1976).
Eileen Gray (1878-1976). Manufacturer ClassiCon authorised by The World Licence Holder Aram Designs Ltd
Paravent Brick Screen en panneaux de bois laqué orientables d’Eileen Gray (1926), ClassiCon.
Paravent Brick Screen en panneaux de bois laqué orientables d’Eileen Gray (1926), ClassiCon.
Table-guéridon E 1027 pour ClassiCon par Eileen Gray (1927).
Table-guéridon E 1027 pour ClassiCon par Eileen Gray (1927).

2 – Elsie de Wolfe (1865-1950)

Elsie de Wolfe a tout simplement inventé le métier de décorateur… Cette bourgeoise new-yorkaise désargentée débute au théâtre, comme comédienne, avant de réaliser ses premiers décors. Par ailleurs, le design de sa maison plaît, ses amies applaudissent et elle devient la première femme à se lancer dans la décoration. Son goût du beige, du chintz, des couleurs claires et des meubles peints fait mouche dans les revues de l’époque. En 1903, elle s’installe à Versailles, où elle donne, villa Trianon, des fêtes inoubliables. Sa vie est un roman !

Elsie de Wolfe (1865-1950).
Elsie de Wolfe (1865-1950). DR

3 – Lilly Reich (1885-1947)

Designeuse, architecte et artiste textile, Lilly Reich a collaboré avec Ludwig Mies Van der Rohe. Tous deux forment un couple pendant une dizaine d’années. Quand elle le rencontre, à 27 ans, elle est déjà une architecte confirmée. Elle est de la manifestation à la Weissenhof, à Stuttgart, en 1927, et suit son compagnon à l’école du Bauhaus. Avec lui, elle participe au projet de la villa Tugendhat, à Brno, en Tchécoslovaquie. C’est Lilly Reich qui, selon certains, dessine le fameux lit de jour Barcelona (1929, Knoll), attribué au seul Mies. La guerre fait peu à peu glisser dans l’oubli celle qui aura survécu au IIIe Reich. En 1996, une exposition au MoMA, à New York, suivie d’une autre à la villa Tugendhat, en 2016, ravivent son souvenir. En 2018, la Fondation Mies Van der Rohe a créé une bourse au nom de Lilly Reich pour l’égalité en architecture…

Lilly Reich (1885-1947).
Lilly Reich (1885-1947). DR

4 – Margarete Schütte-Lihotzky (1897-2000)

Cette Viennoise a été la première femme architecte d’Autriche. Elle est souvent citée pour sa célèbre Frankfurt Kitchen (1926), un canon de la cuisine occidentale, qui fut installée dans quelque 10 000 logements ouvriers et est aujourd’hui exposée au musée des Arts appliqués de Vienne (MAK). La designeuse collabore un temps avec Adolf Loos pour loger les victimes de la Première Guerre mondiale. Les aléas de la vie la font voyager avec son mari en Russie, à Londres, à Paris et en Turquie. Arrêtée en Autriche – où cette antinazie est revenue pour entrer en résistance en 1940 –, elle survit à la guerre. Elle travaille ensuite pour des pays communistes. Elle disparaît à l’âge de 103 ans en ayant toujours refusé les honneurs qui heurtaient ses convictions.

Margarete Schütte-Lihotzky (1897-2000).
Margarete Schütte-Lihotzky (1897-2000). Rudolf Semotan
La Frankfurter Kitchen bouleverse les mœurs et la vie des femmes du XXe siècle.
La Frankfurter Kitchen bouleverse les mœurs et la vie des femmes du XXe siècle. DR

5 – Gunta Stölzl (1897-1983)

Gunta Stölzl est l’incarnation de la modernité textile, qui donne tout son sens au métier de tisserand. Sortie des Arts décoratifs de Munich, où elle a étudié la peinture sur verre et la céramique, elle bifurque vers le textile avec des tapisseries graphiques, comme le tapis 447 (circa 1930, Christopher Farr). Au Bauhaus, elle suit les cours du théoricien suisse Johannes Itten, puis ceux de Georg Muche et Paul Klee, à l’atelier de tissage. En 1921, elle tapisse du mobilier pour Marcel Breuer. Elle suit le gourou Itten en Suisse, y fonde un atelier en 1924, puis revient au Bauhaus pour devenir maître-artisan du textile. Elle y travaille avec Anni Albers, avant de retourner en Suisse.

Gunta Stölzl (1897-1983).
Gunta Stölzl (1897-1983). DR
Tapis 447 de Gunta Stölzl (1930, Christopher Farr).
Tapis 447 de Gunta Stölzl (1930, Christopher Farr). DR

6 – Anni Albers (1899-1994)

Jeune et riche épouse berlinoise du peintre Josef Albers (1888-1976), Anni Albers vénérait Paul Klee, son voisin dans ces maisons de maître conçues par Walter Gropius qu’occupait le Bauhaus, à Dessau. À cause de la maladie de Charcot, dont elle est atteinte, l’artiste est réduite à ne réaliser que des tapisseries murales ou du tissage. Produit d’une éducation très raffinée, elle y fait des étincelles. Mies la considère avec dédain comme une dilettante privilégiée, même si elle s’emploie à ne vivre que (relativement) de peu. Elle a fait du textile le pilier de sa vie, le transformant en une forme d’art abstrait, dont les motifs graphiques – Child’s Room Rug (1928, Christopher Farr) – sont réédités ou repris par Paul Smith, Uniqlo ou Hermès.

Anni Albers (1899-1994).
Anni Albers (1899-1994). Albers foundation
Tapis Child’s Room Rug, Christopher Farr, 1928.
Tapis Child’s Room Rug, Christopher Farr, 1928. DR

7 – Charlotte Perriand (1903-1999)

Elle est la plus célèbre des créatrices françaises de l’histoire du design. Charlotte Perriand intègre l’atelier de Le Corbusier pour y concevoir des aménagements intérieurs et participe avec lui et son cousin Pierre Jeanneret à la création de mobilier. Certaines pièces, comme la chaise longue LC4 (1928, Cassina), sont devenues des icônes. Pendant la guerre, alors qu’elle est retenue au Japon où elle travaille comme consultante pour l’industrie, elle s’inspire de l’artisanat et de l’esprit mingei pour ses meubles. Leur modernité a contribué au succès de l’exposition « Le Monde nouveau de Charlotte Perriand » à la Fondation Vuitton (octobre 2019-février 2020), à Paris. La designeuse a toujours su être en lien avec le bain culturel de son époque, incarné par des artistes comme Fernand Léger. Sa curiosité et son « œil en éventail » ont donné un jour nouveau à l’esthétique du mobilier pensé pour un usage quotidien.

Charlotte Perriand (1903-1999).
Charlotte Perriand (1903-1999). archives Charlotte perriand
Chaise longue LC4, Cassina, 1928.
Chaise longue LC4, Cassina, 1928. DR

8 – Janette Laverrière (1909-2011)

Fille du grand architecte suisse Alphonse Laverrière, cette architecte d’intérieur et créatrice de mobilier refusait le terme de décoratrice. Formée à Lausanne aussi bien qu’au studio d’architecture paternel, elle est stagiaire au début des années 30, à Paris, chez Jacques-Émile Ruhlmann. Ses créations sont aussi surprenantes que l’était sa propre vie. Pour preuve, sa Bibliothèque tournante (1950-2011), son fauteuil Cognac (1967, JL Editions) ou, en 1961, les 200 objets fabriqués pour le palais présidentiel de Niamey, au Niger. En 2004, la galerie Perimeter la réédite en partie et l’expose chez Yves Gastou. JL Editions a, depuis, repris la diffusion de ses pièces, ayant ainsi permis à Janette Laverrière de ne pas tomber dans l’oubli.

Janette Laverrière (1909-2011)
Janette Laverrière (1909-2011) DR
Bibliothèque tournante de Janette Laverrière (1950).
Bibliothèque tournante de Janette Laverrière (1950). DR

9 – Sister Parish (1910-1994)

Cette décoratrice américaine est connue pour avoir aménagé le Bureau ovale de la Maison-Blanche dans les années 60. Auto­didacte, elle a commencé par décorer sa propre maison de campagne. À 23 ans, elle se lance dans le métier, à l’instar de sa cousine, la célèbre Dorothy Draper. Ses amis sont ses premiers clients. Quand Jacqueline Kennedy la sollicite en 1960, les journaux titrent qu’elle a engagé une nonne et le président la trouve trop chère… Elle est la mère de l’« american country style », caractérisé par ses murs jaunes et ses tissus imprimés. Ce goût pour le chintz, les coussins brodés, les paniers et les kilts s’est vite répandu. Ses motifs Petite Fleur, Apple ou Titania, sont toujours édités par Sister Parish, la maison familiale, incarnation ensoleillée de l’optimisme américain.

Sister Parish (1910-1994).
Sister Parish (1910-1994). DR
Fauteuil Petite Fleur de Sister Parish (1960).
Fauteuil Petite Fleur de Sister Parish (1960). DR

10 – Ray Eames (1912-1988)

Ray, née Kaiser, démarre son parcours comme peintre, issue de l’expressionnisme. Elle rencontre son futur mari, Charles Eames, à la Cranbrook Academy of Art, épicentre du design américain. Elle y assiste Eero Saarinen et Charles pour une exposition. Installée à Los Angeles, elle y produit pendant quarante ans des pièces de design comme la Lounge Chair (1956, Vitra), des expositions, des films, des dessins graphiques, de l’architecture, des textiles et des photographies. En 1949, elle sélectionne avec Charles Eames les éléments préfabriqués de leur future – et iconique – maison. Sa participation n’est pas circonscrite aux jouets d’enfant. Plus qu’un couple, tous deux formaient un ­binôme animé par une curiosité d’esprit et un goût pour la culture.

Ray Eames (1912-1988).
Ray Eames (1912-1988). DR
Lounge Chair, Vitra, 1956.
Lounge Chair, Vitra, 1956. DR

11 – Maïmé Arnodin (1916-2003) et Denise Fayolle (1923-1995)

Le couple de stylistes a fondé Mafia, le premier bureau de style augmenté d’une agence de publicité. Dans les années 70, le sac Prisunic jaune et orange, imprimé d’une cible, était leur idée. En 1977, le duo crée la campagne du parfum Opium d’Yves Saint Laurent, habillant le flacon d’une image assumée d’odalisque. Maïmé Arnodin, ingénieure de formation, a enchaîné les fonctions : journaliste de mode, directrice de publicité du Printemps, puis responsable d’une société de conseil dans les 60’s. En 1968, avec Denise Fayolle, ex-championne de patinage artistique devenue directrice du style de Prisunic, elles donnent vie à leur conviction de faire du « beau au prix du laid ».

Maïmé Arnodin (1916-2003) et Denise Fayolle (1923-1995).
Maïmé Arnodin (1916-2003) et Denise Fayolle (1923-1995). Archives Arnodin

12 – Florence Knoll (1917-2019)

Florence Knoll a tout au long de sa vie affirmé n’avoir été « qu’une » éditrice de design. « Je n’ai fait qu’ajouter les patates à la viande », expliquait-elle, comme si, en dessinant ses fameux fauteuils et canapés Settee (1954), elle s’en était tenue à compléter le catalogue Knoll existant. Déjà collaboratrice de longue date de son mari Hans Knoll, elle reprend la société au décès de ce dernier. Elle reste connue pour ses aménagements de buildings de « style international ». Florence Knoll a littéralement grandi dans l’architecture avec la famille Saarinen, dont elle était très proche. Son refus de l’étiquette de designer n’est pas de la modestie, il révèle plutôt son sens de l’exactitude. Elle préfère célébrer les créateurs qu’elle a fait travailler, comme Eero Saarinen ou le sculpteur Harry Bertoia.

Florence Knoll (1917-2019).
Florence Knoll (1917-2019). Courtesy of knoll
Canapés Settee, design Florence Knoll (Knoll, 1954).
Canapés Settee, design Florence Knoll (Knoll, 1954). Courtesy of knoll

13 – Lucienne Day (1917-2010)

Son mariage avec le fameux designer anglais Robin Day n’a pas empêché Lucienne Day de voir décoller sa carrière en 1951 avec le tissu Calyx, un motif aussi pictural que moderne, qui semble en mouvement, comme un mobile de Calder. Réalisé pour le Festival de Grande-Bretagne, il déchire le monde du tissu. La créatrice poursuit une longue collaboration avec Heals, l’éditeur de ce best-seller jusqu’à aujourd’hui. Son travail représente une centaine de modèles différents, en plus d’autres créations comme du papier peint, des tapis en lin imprimé, ainsi que de la céramique pour le porcelainier allemand Rosenthal. Si les Day faisaient atelier commun, leurs carrières respectives ont toujours été parfaitement distinctes, même quand ils étaient conseillers, pendant une vingtaine d’années, pour les grands magasins anglais John Lewis.

Lucienne Day (1917-2010).
Lucienne Day (1917-2010). DR
Motif Calyx de Lucienne Day.
Motif Calyx de Lucienne Day. DR

14 – Grete Jalk (1920-2006)

Malgré un profil littéraire et philosophique, la Danoise Grete Jalk s’oriente vers le design de meubles via l’ébénisterie. À Copenhague, elle intègre l’École de design pour femmes en 1940. À 26 ans, elle y remporte le premier prix de la Guilde des ébénistes. Puis elle apprend auprès du designer Kaare Klint à l’Académie royale des Beaux-Arts. En 1963, elle réalise pour Poul Jeppesen sa fameuse GJ Bow Chair en bois lamellé, inspirée des Eames. Bien que le succès commercial ne soit pas au rendez-vous, celle-ci entre au MoMA, à New York. Grete Jalk a contribué à faire l’histoire du design danois, avant que le pays ne devienne connu pour ses éditeurs.

Grete Jalk (1920-2006).
Grete Jalk (1920-2006). DR
Chaise GJ Bow Chair (Poul Jeppesen, 1963).
Chaise GJ Bow Chair (Poul Jeppesen, 1963). DR

15 – Nanna Ditzel (1923-2005)

Designer de mobilier, Nanna Ditzel a commencé par apprendre l’ébénisterie. Élève de Kaare Klint, elle décroche son diplôme d’architecture à 26 ans. Avec son mari, Jørgen Ditzel, elle crée d’abord des bijoux pour l’orfèvre Jensen. En 1960, le duo reçoit la médaille d’or du salon de la Triennale de Milan pour du mobilier. Veuve à 41 ans, elle poursuit son activité dans le domaine du meuble, notamment pour enfants. Elle se remarie en 1968 avec Kurt Heide et s’installe à Londres. Le couple fonde l’Interspace International Design Center. Après le décès de son second époux, elle retourne au Danemark, où tout le monde connaît sa chaise pour enfants (1955), son siège suspendu en rotin et sa Ring Chair (1958, avec Jørgen Ditzel). Elle a ouvert la voie aux femmes designers de la génération suivante.

Nanna Ditzel (1923-2005).
Nanna Ditzel (1923-2005). DR
La Egg Chair (au centre), entourée d’autres meubles en rotin signés Nanna Ditzel.
La Egg Chair (au centre), entourée d’autres meubles en rotin signés Nanna Ditzel.

16 – Cini Boeri (1924-2020)

La Milanaise Cini Boeri fait partie des premières femmes – comme Gae Aulenti et, plus tard, Nanda Vigo – à s’être fait un nom en Italie. Après un diplôme obtenu à l’École polytechnique de Milan en 1951, la designer entre en stage chez Gio Ponti, puis travaille avec Marco Zanuso. En 1963, elle ouvre son propre studio. En 1968, sa lampe en plastique 602 (1968, Arteluce) est l’une des premières à oser s’inspirer de la forme d’un tuyau de canalisation. Son fauteuil Botolo (1973, Arflex) est aussi estampillé seventies qu’il est intemporel. En 1987, son fauteuil Ghost, conçu à partir d’une feuille de verre, contribuera largement à l’image de l’éditeur Fiam. À chaque fois que l’on pénètre dans le showroom Knoll, à Paris, on est chez elle, car elle en a signé l’architecture. Musées, bureaux, magasins et autres villas… Cini Boeri fait partie intégrante du paysage italien.

Cini Boeri (1924-).
Cini Boeri (1924-). DR
Fauteuil Ghost (Fiam, 1987).
Fauteuil Ghost (Fiam, 1987). DR

17 – Andrée Putman (1925-2013)

Andrée Putman surgit tard dans le monde du design et de l’architecture intérieure, mais la tête pleine d’idées. À la fin des années 70, son propre loft surprend sans remporter immédiatement l’adhésion. Ses intérêts culturels variés, de la littérature à la musique en passant par l’art moderne, lui sont utiles pour aménager des espaces. Elle réédite aussi, avec Écart International, le mobilier du designer Robert Mallet-Stevens ou même une table du photographe Jacques-Henri Lartigue. Son banc Éléphant (1945, Studio Putman) est devenu synonyme d’un goût sûr, comme lorsqu’elle signait l’Hôtel Morgans à New York (1984), la cabine du Concorde (1994) ou des lunettes de soleil.

Andrée Putman (1925-2013).
Andrée Putman (1925-2013). Ludovic Maisant
Banc Elephant signé Andrée Putman (Ecart International).
Banc Elephant signé Andrée Putman (Ecart International). DR

 

Thématiques associées