Eileen Gray (1878-1976)
En 1922, à Paris, la designer irlandaise Eileen Gray ouvre sa galerie sous le nom de Jean Désert. Dandysme ou brouillage de l’image attendue d’une décoratrice ? Il semble en tout cas qu’aucun homme n’ait eu à faire ce type de contorsion… Eileen Gray est pourtant brillante, comme l’a bien compris Le Corbusier, qui fouinait sur le chantier de sa villa E-1027, à Roquebrune-Cap-Martin (Alpes Maritimes). À la fois architecte, peintre, laqueuse et as du textile, elle est associée à l’Art déco mais aussi au Bauhaus, passée du paravent en brique de bois laqué noir à l’iconique table-guéridon E 1027 en verre et acier. De ses tapis graphiques au fauteuil Bibendum, les trésors de la créatrice ont enrichi l’histoire du design et le catalogue de l’éditeur allemand ClassiCon, faisant d’elle une pionnière.
Elsie de Wolfe (1865-1950)
Elsie de Wolfe a tout simplement inventé le métier de décorateur… Cette bourgeoise new-yorkaise désargentée débute au théâtre, comme comédienne, avant de réaliser ses premiers décors. Par ailleurs, le design de sa maison plaît, ses amies applaudissent et elle devient la première femme à se lancer dans la décoration. Son goût du beige, du chintz, des couleurs claires et des meubles peints fait mouche dans les revues de l’époque. En 1903, elle s’installe à Versailles, où elle donne, villa Trianon, des fêtes inoubliables. Sa vie est un roman !
Lilly Reich (1885-1947)
Designer, architecte et artiste textile, Lilly Reich a collaboré avec Ludwig Mies Van der Rohe. Tous deux forment un couple pendant une dizaine d’années. Quand elle le rencontre, à 27 ans, elle est déjà une architecte confirmée. Elle est de la manifestation à la Weissenhof, à Stuttgart, en 1927, et suit son compagnon à l’école du Bauhaus. Avec lui, elle participe au projet de la villa Tugendhat, à Brno, en Tchécoslovaquie. C’est Lilly Reich qui, selon certains, dessine le fameux lit de jour Barcelona (1929, Knoll), attribué au seul Mies. La guerre fait peu à peu glisser dans l’oubli celle qui aura survécu au IIIe Reich. En 1996, une exposition au MoMA, à New York, suivie d’une autre à la villa Tugendhat, en 2016, ravivent son souvenir. En 2018, la Fondation Mies Van der Rohe a créé une bourse au nom de Lilly Reich pour l’égalité en architecture…
Margarete Schütte-Lihotzky (1897-2000)
Cette Viennoise a été la première femme architecte d’Autriche. Elle est souvent citée pour sa célèbre Frankfurt Kitchen (1926), un canon de la cuisine occidentale, qui fut installée dans quelque 10 000 logements ouvriers et est aujourd’hui exposée au musée des Arts appliqués de Vienne (MAK). La designer collabore un temps avec Adolf Loos pour loger les victimes de la Première Guerre mondiale. Les aléas de la vie la font voyager avec son mari en Russie, à Londres, à Paris et en Turquie. Arrêtée en Autriche – où cette antinazie est revenue pour entrer en résistance en 1940 –, elle survit à la guerre. Elle travaille ensuite pour des pays communistes. Elle disparaît à l’âge de 103 ans en ayant toujours refusé les honneurs qui heurtaient ses convictions.
Gunta Stölzl (1897-1983)
Gunta Stölzl est l’incarnation de la modernité textile, qui donne tout son sens au métier de tisserand. Sortie des Arts décoratifs de Munich, où elle a étudié la peinture sur verre et la céramique, elle bifurque vers le textile avec des tapisseries graphiques, comme le tapis 447 (circa 1930, Christopher Farr). Au Bauhaus, elle suit les cours du théoricien suisse Johannes Itten, puis ceux de Georg Muche et Paul Klee, à l’atelier de tissage. En 1921, elle tapisse du mobilier pour Marcel Breuer. Elle suit le gourou Itten en Suisse, y fonde un atelier en 1924, puis revient au Bauhaus pour devenir maître-artisan du textile. Elle y travaille avec Anni Albers, avant de retourner en Suisse.
Anni Albers (1899-1994)
Jeune et riche épouse berlinoise du peintre Josef Albers (1888-1976), Anni Albers vénérait Paul Klee, son voisin dans ces maisons de maître conçues par Walter Gropius qu’occupait le Bauhaus, à Dessau. À cause de la maladie de Charcot, dont elle est atteinte, l’artiste est réduite à ne réaliser que des tapisseries murales ou du tissage. Produit d’une éducation très raffinée, elle y fait des étincelles. Mies la considère avec dédain comme une dilettante privilégiée, même si elle s’emploie à ne vivre que (relativement) de peu. Elle a fait du textile le pilier de sa vie, le transformant en une forme d’art abstrait, dont les motifs graphiques – Child’s Room Rug (1928, Christopher Farr) – sont réédités ou repris par Paul Smith, Uniqlo ou Hermès.
Charlotte Perriand (1903-1999)
Elle est la plus célèbre des créatrices françaises de l’histoire du design. Charlotte Perriand intègre l’atelier de Le Corbusier pour y concevoir des aménagements intérieurs et participe avec lui et son cousin Pierre Jeanneret à la création de mobilier. Certaines pièces, comme la chaise longue LC4 (1928, Cassina), sont devenues des icônes. Pendant la guerre, alors qu’elle est retenue au Japon où elle travaille comme consultante pour l’industrie, elle s’inspire de l’artisanat et de l’esprit mingei pour ses meubles. Leur modernité a contribué au succès de l’exposition « Le Monde nouveau de Charlotte Perriand » à la Fondation Vuitton (octobre 2019-février 2020), à Paris. La designer a toujours su être en lien avec le bain culturel de son époque, incarné par des artistes comme Fernand Léger. Sa curiosité et son « œil en éventail » ont donné un jour nouveau à l’esthétique du mobilier pensé pour un usage quotidien.
Janette Laverrière (1909-2011)
Fille du grand architecte suisse Alphonse Laverrière, cette architecte d’intérieur et créatrice de mobilier refusait le terme de décoratrice. Formée à Lausanne aussi bien qu’au studio d’architecture paternel, elle est stagiaire au début des années 30, à Paris, chez Jacques-Émile Ruhlmann. Ses créations sont aussi surprenantes que l’était sa propre vie. Pour preuve, sa Bibliothèque tournante (1950-2011), son fauteuil Cognac (1967, JL Editions) ou, en 1961, les 200 objets fabriqués pour le palais présidentiel de Niamey, au Niger. En 2004, la galerie Perimeter la réédite en partie et l’expose chez Yves Gastou. JL Editions a, depuis, repris la diffusion de ses pièces, ayant ainsi permis à Janette Laverrière de ne pas tomber dans l’oubli.
Sister Parish (1910-1994)
Cette décoratrice américaine est connue pour avoir aménagé le Bureau ovale de la Maison-Blanche dans les années 60. Autodidacte, elle a commencé par décorer sa propre maison de campagne. À 23 ans, elle se lance dans le métier, à l’instar de sa cousine, la célèbre Dorothy Draper. Ses amis sont ses premiers clients. Quand Jacqueline Kennedy la sollicite en 1960, les journaux titrent qu’elle a engagé une nonne et le président la trouve trop chère… Elle est la mère de l’« american country style », caractérisé par ses murs jaunes et ses tissus imprimés. Ce goût pour le chintz, les coussins brodés, les paniers et les kilts s’est vite répandu. Ses motifs Petite Fleur, Apple ou Titania, sont toujours édités par Sister Parish, la maison familiale, incarnation ensoleillée de l’optimisme américain.
Ray Eames (1912-1988)
Ray, née Kaiser, démarre son parcours comme peintre, issue de l’expressionnisme. Elle rencontre son futur mari, Charles Eames, à la Cranbrook Academy of Art, épicentre du design américain. Elle y assiste Eero Saarinen et Charles pour une exposition. Installée à Los Angeles, elle y produit pendant quarante ans des pièces de design comme la Lounge Chair (1956, Vitra), des expositions, des films, des dessins graphiques, de l’architecture, des textiles et des photographies. En 1949, elle sélectionne avec Charles Eames les éléments préfabriqués de leur future – et iconique – maison. Sa participation n’est pas circonscrite aux jouets d’enfant. Plus qu’un couple, tous deux formaient un binôme animé par une curiosité d’esprit et un goût pour la culture.