L’usine de transformation de saucisses Bridgford nourrit la ville depuis soixante-sept ans… Son bâtiment, emblématique du meatpacking district (le quartier des abattoirs), implanté à l’angle de Lake Street et de North Peoria, était autrefois noyé dans une forêt d’usines agroalimentaires… Aujourd’hui, il demeure le dernier vestige de ce passé industriel mythique, quand Chicago était la capitale mondiale de la viande et que ses abattoirs fournissaient le pays tout entier en steaks hachés, wieners (« saucisses fumées ») et pork chops (« côtes de porc »). Dans quelques mois pourtant, il rejoindra le cimetière des manufactures de fabrication de viande auprès d’Amity Packing, de Quality Food Products, de Nealey Foods, d’Isaacson & Stein Fish et de Jon R. Morreale Meat…
Comme celles de tous ces acteurs centraux de la vie chicagoane du XXe siècle, l’usine appartiendra au passé et ses locaux seront reconvertis en appartements et boutiques quand ils ne seront pas détruits pour laisser place à de nouvelles constructions. Le quartier de West Loop, où était basée cette industrie, est en effet rentré dans une phase de gentrification accélérée. Situé à l’ouest du centre-ville, ce secteur s’inscrit dans un rectangle de 4 km2 qui longe la rivière Chicago. Il est bordé par Grand Avenue au nord, Ashland Avenue à l’ouest, l’Eisenhower Expressway au sud, et la rivière à l’est.
Gastronomie locale
Depuis le milieu des années 2000, de nombreux immeubles ont été reconvertis en lofts, boîtes de nuit et galeries d’art. Même le restaurant Proxi, une institution gastronomique locale, qui affiche complet des mois à l’avance, s’est installé dans les anciens bureaux d’un imprimeur du Meatpacking District.
Mutation expresse
Les multinationales, elles aussi, se sont enamourées de West Loop. Parmi les exemples les plus frappants et les plus récents, Google – qui a ouvert des bureaux dans une ancienne chambre froide –, McDonald’s – qui a installé son siège social mondial dans les ex-studios de l’inoxydable star cathodique Oprah Winfrey –, WeWork – qui a achevé l’été dernier la construction d’un immeuble proposant des espaces de coworking… Toutes les activités, quelle que soit leur échelle, sont concernées par ce bouleversement. Ce qui frappe d’abord le visiteur qui arrive à West Loop, c’est la frénésie des marteaux-piqueurs, des grues, des camions à bitume et autres engins de construction qui se pressent dans toutes les artères.
Car la mutation est loin d’être achevée. Si les activités culturelles et commerciales ont déjà largement investi le quartier, de nombreux projets de résidences sont en cours de réalisation pour amener plus d’habitants dans cette zone autrefois délaissée. Marqueur fort de ce bouleversement, l’hôtel Nobu ouvrira ses portes au printemps dans un bâtiment tout de verre et d’acier, dont les travaux ont démarré il y a déjà quelques années. Dans ses 115 chambres aux immenses baies vitrées donnant sur les gratte-ciel tout proches, on retrouvera un mix d’influences traditionnelles japonaises et de design ultra-contemporain, mais également un bar à sushis, un restaurant « Nobu signature »…
« En 2015, c’était un quartier très brut, une zone endormie où tout restait à inventer », se remémore Lauren McGrady, la fondatrice de la boutique de déco Rider for Life. « Il y a encore quatre ans, West Loop n’avait rien d’une destination shopping, on n’y trouvait que des restaurants de viande. Billy Reid a vraiment eu le nez creux, renchérit l’un des vendeurs de cette marque de vêtements normcore homonyme. Il était passionné de gastronomie et connaissait le quartier à travers sa nouvelle scène. Il en a senti le potentiel. »
L’authenticité de Chicago
Car à West Loop, tout a démarré avec les restaurants, apparus dans le sillage des abattoirs. Même quand ces derniers ont commencé à fermer les uns après les autres, c’est encore ici que l’on trouvait la meilleure viande. C’est pourquoi les premiers à franchir la rivière Chicago furent les amateurs de bonne chère en quête d’authenticité. Dans leur sillage, des restaurants toujours plus branchés ont investi d’immenses espaces aux loyers défiant toute concurrence.
Cependant, comme dans tous les quartiers industriels devenus trendy, on observe ce phénomène récurrent : la multiplication des adresses in fait grimper les prix et pousse les créatifs à déménager vers des zones plus accessibles. « Nous sommes restés cinq ans au cœur de West Loop, mais nous avons dû partir un peu plus au nord. Les galeries d’art – même la plus célèbre d’entre elles, Rhona Hoffman – migrent peu à peu vers West Town, le quartier mitoyen », explique Sam Vinz de la galerie de design Volume, aujourd’hui installée dans ce prochain eldorado, à inclure dans la visite de West Loop.