A Comporta, c’est l’âpreté des teintes qui vous saisit d’abord. De grands aplats d’herbes jaunies assommés de lumière. Des labours bruns à n’en plus finir. Des marécages grisonnants où rien ne bouge. C’est l’immensité et l’immobilité, ensuite, qui vous donnent ici le vertige (et tant pis si l’on est proche du zéro d’altitude). Comme si le monde entier n’était plus qu’une gangue de ciels, de terres et d’eaux bien trop vaste pour vous seul (car oui, ici, vous êtes souvent seul au monde).
Alors un rien, dans ce pays nu, vous égaye l’oeil et l’esprit. Voici qu’une fermette blanche, solitaire elle aussi, pointe le bout de son toit de tuile au bout d’une lande ? Pour un peu, vous éprouveriez des sentiments fraternels et sororaux à son endroit. Des peupliers bien en rang qui bordent un chemin ? Leurs verts sombres et leurs reflets argentés vous font l’effet d’une explosion chromatique. Et l’on ne vous parle pas (car sinon, vous frôleriez l’extase de trop près) de ces bosquets de pinède, de ces vallons secrets en pente douce où pousse la vigne, ni de ces dunes au pied desquelles se dévoilent des plages infinies de sable blanc.
On appelle ce pays Comporta, mais c’est un abus de langage. Comme si l’on disait « Arcachon » en éludant le bassin tout autour. Il y a un bassin, ici aussi, ou plutôt une lagune. C’est le delta du fleuve Sado, au contact de l’Atlantique, qui la dessine et c’est à son voisinage qu’une poignée de villages ruraux ont éclos : Alcácer do Sal, Carrasqueira, Carvalhal, Melides et puis Comporta, l’épicentre du coin, qui trône sans fanfaronnade au beau milieu d’un paysage de rizières, tout plat, rude, où les moustiques pullulent.
Christina Bravo, qui chapeaute la Maison de la culture locale – une institution qui mêle expositions d’artistes locaux, ateliers culinaires et marché de produits locaux – n’en est pas moins lyrique quand il s’agit d’évoquer ce cadre : « Au fil des saisons, les rizières me font l’effet de tableaux vivants. Leur mise en eau, au printemps, est fascinante : ce sont des miroirs. Elles deviennent vert pomme, ensuite, lorsque germe le riz. Puis s’assèchent peu à peu jusqu’à l’automne, quand, enfin, on les brûle… » Ajoutons qu’en hiver, elles luisent d’un noir fantomatique, lisses par endroits, striées à d’autres, de vrais « tableaux vivants », en effet, qui n’ont rien à envier aux toiles de Soulages. S’étonnera-t-on que les artistes austères et cérébraux se sentent ici chez eux ?
L’Allemand Anselm Kiefer, dont les sculptures livrent avec la matière et l’histoire de puissants corps-à-corps, se ressource régulièrement à Comporta. Jason Martin, ponte anglais de la peinture contemporaine, s’est aménagé, lui, deux ateliers dans les environs : l’un dans une ancienne discothèque de Melides, où seuls dansent ses pinceaux désormais, l’autre au milieu d’un marais, cerné par les roseaux. Il y façonne des paysages abstraits, monochromes, creusés de petits sillons et bosselés de sensuels renflements – et toute ressemblance avec la nature d’ici n’est évidemment pas fortuite… Parmi les sommités mondiales qui se sont amourachées du coin, il faudrait encore mentionner Jacques Grange, Philippe Starck, Vincent Van Duysen, entre autres stars de la déco, qui possèdent ici des pied-à- terre, ou encore Madonna, star parmi les stars et cavalière émérite, qui galope quand ça lui chante sur ces longs bords de mer.
Alors, Comporta et ses alentours, si silencieux, si reculés (et en même temps si proches de Lisbonne, à moins de deux heures de route au nord), voient depuis quelques années leur cote flamber. Vous noterez d’ailleurs, aux abords des plages du Pego et de Comporta, ces ballets de 4×4 et pick-up rutilants desquels descendent, hâlés comme il faut, surfs et cabas griffés sous le bras, des jeunes gens très aisés qui déjeuneront probablement, «à l’heure espagnole», d’un poisson grillé au Comporta Café ou chez Sal, chères et chics paillottes avec vue sur mer, nichées au creux des oyats.
D’aucuns comparent la région au Cap-Ferret ou aux Hamptons, entre autres villégiatures océaniques et argentées ? Il y a de cela. Au point que les greniers, les anciennes granges et écuries qui longent l’artère principale du village de Comporta, la rua do Secador, ont presque tous muté en boutiques de vêtements qui semblent toutes vouloir nous relooker en créature bohème échappée de l’Ibiza des seventies – djellabas, batiks et broderies y font loi.