Singapour compte plus de 3 millions d’arbres pour un peu moins de 6 millions d’habitants. Chaque année depuis 1971, le Tree Planting Day est une occasion pour des milliers d’entre eux d’en mettre de nouveaux en terre. Aujourd’hui, la biodiversité y est plus riche qu’il y a vingt ans, et des espèces menacées telles que les loutres marines reviennent en ville. La cité-État englobe 18 réserves naturelles, dont les magnifiques Jardins botaniques, oasis de 82 hectares étirée en hauteur, créée en 1859 et inscrite sur la Liste du patrimoine mondial de l’Unesco depuis 2015. En moyenne, chaque habitant se trouve à moins de 400 mètres d’espaces verts dont la plupart sont reliés entre eux par un réseau de Parks Connectors, voies piétonnes entre terre et canopée.
Parmi ces sentiers aériens, Henderson PC se distingue par le plus haut pont piétonnier de la ville (Henderson Waves, intégré aux Southern Ridges) tandis que Central Catchment PC chemine à travers la réserve du même nom, dont le TreeTop Walk est un point de vue également remarquable. L’étendue de ce réseau, entretenu par le National Parks Board, devrait passer de 200 à 360 km d’ici à 2020. Une piste cyclable de 150 km autour de l’île est également prévue, ainsi que la végétalisation de l’ancienne voie ferrée qui reliait Singapour à la Malaisie. Démantelée en 2010, la ligne devait être transformée en vaste projet immobilier, mais c’était sans compter avec la fibre végétale des Singapouriens, qui se sont battus pour la muer en « Green Corridor ».
La plus belle vitrine verte reste bien évidemment Gardens by the Bay. Ce parc de plus de 100 hectares, conçu par les bureaux d’architecture du paysage Grant Associates et Atelier Ten, accueille le Flower Dome, qui abrite une flore méditerranéenne, et le Cloud Forest, renfermant une forêt tropicale d’altitude : en tout, pas moins de 250 000 espèces de plantes rares mises sous cloche. Les déchets végétaux servent à alimenter une centrale à biomasse produisant la chaleur et l’énergie utiles aux deux biomes (ou écosystèmes). L’air chaud et humide est quant à lui dirigé vers les 18 Supertrees voisins, afin de donner vie à leurs structures extérieures recouvertes de 150 000 plantes et de produire l’énergie nécessaire au son et lumière qui anime le lieu à la nuit tombée.
Les jardins eux-mêmes sont dotés d’un système de récupération d’eau de pluie, pour les plantes mais aussi pour alimenter le réservoir d’eau douce de Marina Barrage. Les bâtiments techniques ont été construits avec des matériaux naturels excavés sur le site et recouverts d’un toit végétalisé qui permet de réguler naturellement la température intérieure. Cette politique verte dont Lee Kuan Yew, Premier ministre de Singapour de 1959 à 1990, est à l’initiative a indéniablement porté ses fruits, Singapour se dénommant elle-même « la ville-jardin ».
Mais cela ne suffit plus. En plein boom économique et démographique, la place au sol s’est mise à manquer. En 2009, le gouvernement a donc demandé aux architectes de verdir leurs constructions. Désormais, chaque promoteur a l’obligation de restituer la surface prise au sol en surface végétalisée. Le nouveau slogan à la mode est « More concrete, more green » (plus de béton, plus de verdure), et des mesures incitatives ont été mises en place, comme le label « BCA Green Mark », décerné par la Building & Construction Authority, ou encore le programme Landscaping for Urban Spaces and High-Rises (LUSH), qui a permis de végétaliser 130 hectares de buildings en centre-ville. La plupart de ces réalisations sont assez discrètes : ici, des arbres sur une terrasse ou dans le hall ; là, une pelouse en guise de trottoir. Depuis, les architectes se sont enhardis en créant des espaces verts au milieu des tours en lieu et place d’appartements ou de bureaux. Mais sans perte de volumes pour autant : ce qui a été végétalisé peut être récupéré en hauteur. Et l’imagination des maîtres d’œuvre s’est emballée.
CapitaGreen, situé en plein cœur du quartier des affaires, est le premier gratte-ciel de bureaux écologique de la ville. Conçue par l’architecte japonais Toyo Ito, cette tour accueille des arbres à tous les étages et un jardin a été installé sur le toit afin de réduire la température à l’intérieur du bâtiment. Le cabinet d’architecture WOHA a, quant à lui, pris l’option d’accrocher de véritables jardins en façade. En témoignent les hôtels Oasia Downtown et Parkroyal on Pickering, tout récemment construits. Pour Phua Hong Wei, architecte et directeur de l’agence WOHA, le fait de végétaliser un bâtiment doit apporter une réelle plus-value : « Mettre du vert pour du vert n’a aucun intérêt. Les bâtiments que nous créons doivent apporter bien d’autres choses à leurs occupants, mais aussi aux voisins, en termes de bien-être, de confort de vie et de sociabilité. Ce n’est pas toujours facile à expliquer car la question du coût entre invariablement en jeu. »
« Mettre un jardin, c’est bien, mais comment faire pour l’arroser ? Qui va l’entretenir ? » poursuit Phua Hong Wei. « Nous devons penser à tout cela et le faire valoir auprès des clients et des habitants. Pour l’hôtel Parkroyal, nous nous sommes inspirés de la technique ancestrale des rizières en terrasses… Nous travaillons aussi avec des paysagistes et des botanistes qui nous conseillent les plantes les plus appropriées. Pour le Parkroyal, toujours, il s’agit de variétés locales ne nécessitant pas beaucoup d’entretien. Pour la façade de l’hôtel Oasia, 21 espèces de plantes grimpantes ont été retenues. Et comme la plupart ne donnent pas de fleurs nous avons eu l’idée de les faire pousser sur une structure en aluminium de couleur rouge orangé qui rappelle de loin une floraison permanente. » Si, à l’ensemble de ces façades, on ajoute les terrasses végétalisées des 12e, 21e et 27e étages, le ratio des surfaces vertes de l’hôtel Oasia par rapport à l’occupation au sol atteint 750 %. Un record !
Tout récent également, le complexe Marina One, conçu par le cabinet allemand Ingenhoven Architects, comprend un jardin tropical intérieur imaginé pour créer un microclimat capable de réduire la consommation d’énergie. Sa conception a été optimisée grâce à des études aérodynamiques pour que l’air qui circule entre les tours se rafraîchisse en passant au-dessus des arbres et des plans d’eau. En centre-ville, non loin de l’hôtel Oasia, The Pinnacle@Duxton est l’immeuble d’habitation le plus haut du monde. Pour y mettre du vert, les architectes ont eu l’idée de relier les tours par des ponts-jardins installés aux 26e et 50e étages. Pelouses arborées, bancs et équipements sportifs permettent aux habitants de prendre un bol d’air sans quitter leur immeuble et tout en bénéficiant d’une vue sublime sur la ville.
D’autres projets de condominiums fleurissent un peu partout sur l’île, à l’instar de SkyVille@Dawson, un ensemble de 960 logements à coût modéré agrémentés de multiples jardins de plein air situés à différents étages. Vers le nord, celui de Tree House est entré dans le Guinness World Records pour être pourvu du plus grand jardin vertical au monde. L’idée est là aussi que les plantes filtrent les rayons solaires pour faire baisser la température intérieure des appartements. Mais, encore une fois, le bilan n’est pas qu’énergétique. Cette verdure accrochée au béton doit aussi reconnecter les habitants avec la nature, recréer ce lien inné qui les unit à elle et qu’ils ont perdu à force de vivre en ville. L’architecture biophilique est née.