Dans le bois de sabines de Formentera
Quand le soleil décline, on en profite pour suivre le camino vers le torrent de S’Alga, une ravine naturelle qui mène les eaux de pluie vers la mer. Comme un peu partout le long des 69 km de côtes, des escars (« chantiers navals », en catalan) faits de planches en bois, délavés par le soleil et le sel, s’alignent en cales de halage où les pêcheurs hissent leurs canots afin de les abriter de la pluie et du vent. Des constructions tellement typiques qu’elles ont été inscrites au patrimoine culturel des Baléares. Dans les rochers, il n’est pas rare de croiser une étoile de mer ou un arbuste dénudé, abandonné aux embruns. Éphémère illusion, le genévrier « sabine » sert bel et bien aux pêcheurs, qui ont pour habitude de sécher leur poisson sur ses branches, d’abord exposé au vent salé avant de rejoindre son bocal d’huile d’olive.
Dans ce bois dur comme la pierre, les premiers Formenterencs ont taillé les portes de leurs maisons, les ailes de leurs moulins, leurs outils pour la pêche ou l’agriculture. Le savoureux peix sec, quant à lui, compose la salade paysanne, servie sans façon sur toutes les tables des Pityuses, comme on appelle ces îles d’Ibiza et de Formentera, en opposition aux Gymésies, les autres îles de l’archipel que sont Majorque et Minorque. En continuant vers l’ouest, les roches rouges éclaboussées d’eaux turquoise de Cala Saona offrent la promesse d’un horizon pourpre. Où que l’on soit sur cette île découpée comme un lézard, son emblème, la présence quasi constante de l’eau finit par désorienter.
Soleil couchant et posidonies
La mer est encore et toujours présente à l’esprit de ses hommes qui, comme partout sur les côtes catalanes, célèbrent chaque 16 juillet le Día de la Virgen del Carmen, leur sainte patronne, en d’infinies processions de fleurs jetées dans les vagues. Partout, les prairies de posidonies suggèrent l’immense richesse naturelle des fonds. C’est au large de Formentera que poussent ses plus vastes herbiers, que l’Unesco a fini par classer : strictement protégés, gare au bateau qui y planterait son ancre ! En empruntant la route verte qui mène de Sant Francesc au phare de La Mola, une autre étrangeté interpelle : d’étonnants hérissons géants, les fameux figueres avec leurs branches qui poussent à l’horizontale, soutenues par les estalons. Les fruits de ces figuiers étayés de la sorte sont plus faciles à récolter et là, le bétail peut trouver ombre et repos à l’abri du vent. Comme un fantasme de liberté sauvage que la main de l’homme aurait façonnée.