Dès l’aube, particulièrement lorsque l’air est encore respirable et que la journée de travail n’a pas commencé, les habitants viennent courir ou faire du tai-chi dans ses allées. Pour les moins motivés (par 35 °C, on les comprend !), des balançoires ont été installées, en écho à une campagne de sensibilisation à l’activité physique. Diffusés l’automne dernier à la télévision, des petits films incitaient en effet à se balancer trente minutes par jour avec l’accroche suivante : « Même si vous êtes paresseux, vous pouvez le faire. » Mais rendons à César ce qui appartient à César : si quelqu’un peut bien être crédité pour ce nouveau visage vert et créatif de Bangkok, c’est certainement l’architecte Duangrit Bunnag (DBALP). Connu pour sa liberté de parole – fait suffisamment rare pour être souligné dans un pays qui reste un régime dirigé par les militaires –, on lui doit The Jam Factory et Warehouse 30, deux reconversions particulièrement réussies d’anciens entrepôts situés le long des deux rives de la Chao Phraya, le principal fleuve de Thaïlande.
Lieu historique de fondation de la ville, le fleuve Chao Phraya sera l’épine dorsale de la première Biennale d’art de Bangkok. Très attendue mais aussi contestée puisqu’une « antibiennale » plus alternative s’est tenue en juillet, la manifestation « officielle » ouvrira ses portes le 18 octobre avec 75 artistes en provenance de 33 pays, dont Marina Abramovic en guest-star. Bangkok ambitionne de devenir un nouveau hub créatif et peut compter sur sa population de Millennials, celle-là même que Sansiri cherche à courtiser. Sur la rive orientale, le quartier de Charoen Krung, en pleine gentrification, est d’ores et déjà labellisé « district créatif ». Juste en face de Warehouse 30, P. Tendercool donne des lettres de noblesse à l’upcycling (le recyclage) avec ses tables à plateaux en bois massif vintage, tandis que quelques soi (rues secondaires) plus loin, l’ancienne Poste monumentale abrite le Thailand Creative and Design Center (TCDC) dans lequel le talentueux duo de designers de Thinkk Studio (Decha Archjananun et Ploypan Theerachai) a scénographié le meilleur de la Design Week en janvier dernier.
Les restaurants locavores, tels que 80/20 ou Err, ne désemplissent pas et les galeries comme Soy Sauce Factory emménagent ici avec enthousiasme. Partout ailleurs en ville, l’énergie créative et entrepreneuriale remodèle, de la même façon, le visage de la capitale thaïlandaise. Chinatown ne se contente plus de concentrer le plus grand nombre d’échoppes de street food au mètre carré, dont celle de Jay Fai, 72 ans, une étoile au Michelin. Le quartier voit aussi s’installer des fleuristes qui font le buzz chez les célébrités, comme Oneday Wallflowers. Ou des bars à cocktails branchés comme Teens of Thailand, dont le nom sonne déjà comme un manifeste.
Dans le quartier de Thonglor, la boutique-café-restaurant Patom est un havre bio voulu par Anak Navaraj. Ce photographe de 37 ans, qui a vécu une dizaine d’années à New York, a lancé cette jeune marque de cosmétiques bio qui s’épanouit dans une superbe boutique-serre dessinée par son cousin architecte. L’espace permet même de proposer 50 unités par jour de boîtes repas en provenance directe de la ferme. « Les gens se sentent de plus en plus concernés par la santé, le développement durable, le recyclage, explique-t-il. Ici, nous remplissons les flacons de cosmétiques et, au café, nous n’utilisons pas de pailles en plastique. Néanmoins, si un client en veut une, nous en avons toujours en stock, mais nous la lui facturons 5 bahts que nous reversons à une fondation. Cette prise de conscience sera évidente pour la jeune génération, car c’est avant tout une question d’éducation. À l’école de mon fils, par exemple, les enseignants ont sensibilisé les enfants aux enjeux du plastique. » De quoi croire, vraiment, que le Bangkok des enfants de la génération « Y » sera encore plus vert.