Les habitués ne s’y retrouvent plus. Cet été, sur le toit des Galeries Lafayettes, le restaurant Créatures a occupé la terrasse Est alors qu’une énigmatique structure baptisée « Tortuga » le remplaçait côté Ouest. Si le sérail avait déjà eu vent que l’architecte Franklin Azzi mijotait quelque chose sur les hauteurs du boulevard Haussmann, le public a dû patienter jusqu’à septembre pour découvrir la nouvelle adresse du Moma Group et Julien Sebbag.
Pour leur deuxième collaboration au sommet – une troisième est déjà en préparation… –, Moma Group et le chef Julien Sebbag livrent un restaurant-spectacle où la cuisine et la vue sont autant de scènes à admirer. Dessiné par l’architecte Franklin Azzi et mis en scène par Pierre Marie, Tortuga a été pensé comme un pavillon moderne et urbain. Avec son allure de Concorde et sa décoration fantasmagorique, ce restaurant est une véritable prouesse architecturale sur un toit longtemps resté inhospitalier…
S’il tire son nom d’une île des Antilles qui fut longtemps un bastion de pirates, Tortuga ravit aussi les papilles avec une carte menée – logiquement – autour du poisson. En plein dans la tendance des assiettes à partager, le chef Sebbag vise juste avec ses plats fins et inventifs aux accents méditerranéens. On retrouve le chou-fleur rôti qui fit la renommée de Créatures mais aussi et surtout des inédits délectables dont le fameux « Black cod » servi sur un riz noir accompagné de champignons shiitake.
Rencontre avec l’architecte Franklin Azzi
IDEAT : Racontez-nous comment est né le projet Tortuga ?
Franklin Azzi : Pour ce projet, nous avons eu la chance d’être appelés directement par les Galeries Lafayette. Guillaume Houzé (directeur de l’image et de la communication des Galeries Lafayette, NDLR) avait l’ambition de créer un pavillon restaurant sur la toiture du bâtiment Haussmann, ouvert toute l’année. Quand j’ai visité le site, j’ai constaté que « poser » un pavillon sur le toit en l’état n’était pas jouable. Il fallait voir à plus long terme. La reconquête des toits parisiens est un sujet assez récent. Or, il faut savoir que pendant longtemps, les toitures ont été utilisées pour entreposer différents éléments techniques qu’on ne voulait pas dans les étages des bâtiments ! En regard à cette situation, j’ai proposé aux Galeries un schéma directeur pensé sur plusieurs années. En 2019, nous avons donc repensé la terrasse comme un grand plan horizontal libre de tout obstacle. Ce nouveau tapis minéral, dont la teinte s’inspire de la couleur des toits parisiens, remplace l’ancien platelage bois. Les anciens garde-corps en béton ont disparu, remplacés par des grands écrans de verre transparent qui donnent à lire tous les monuments de Paris : de la Tour Eiffel au Sacré-Cœur, en passant par l’Opéra de Paris qui nous fait face. En 2020, le pavillon est né. Une structure légère, ouverte sur l’extérieur dont la modularité de la façade offre une grande souplesse d’usage.
IDEAT : Avec quelles contraintes vous a-t-il fallu composer pour construire une telle structure sur le toit des Galeries ?
F.A. : Quand on parle du toit du bâtiment des Galeries Lafayette, en réalité on devrait dire les toits ! En analysant précisément l’histoire du bâtiment Haussmann, nous avons compris que le bâtiment, tel que nous le connaissions aujourd’hui, est en réalité le résultat de plusieurs campagnes successives de construction et de surélévation. Nous héritions donc de plusieurs typologies de structures qu’il fallait comprendre pour pouvoir ancrer le pavillon. Ensuite, c’est un site très exposé aux phénomènes extérieurs, notamment au vent. La grande casquette en porte-à-faux et les dimensions des surfaces vitrées des baies sont de réelles prouesses techniques.
IDEAT : Qu’aviez-vous en tête quand vous avez dessiné le projet ?
F.A. : Les Galeries Lafayette ont toujours été des médiateurs entre la création et le grand public : Charlotte Perriand, Serge Mouille et Pierre Paulin, pour ne citer qu’eux, ont par exemple participé à la création de différents décors ou éléments architecturaux de ce lieu mythique. Ils sont également des mécènes précieux qui opèrent pour la recherche et le développement de prouesses techniques. La coupole Art Nouveau en est le plus bel exemple. Ce parti pris pluridisciplinaire fait écho à mon travail dans lequel je défends une architecture que je qualifie de « globale ». C’est-à-dire un projet dans lequel l’architecte maitrise l’intégralité de son sujet, toutes disciplines confondues. Nous avons ainsi eu en charge la conception architecturale, mais aussi l’architecture intérieure et la direction artistique du lieu. Dans la tradition des collaborations initiées par les Galeries, Guillaume Houzé et moi-même avons imaginé prolonger cet état d’esprit en invitant l’ornemaniste Pierre Marie sur le projet. Pierre Marie a ainsi imaginé six fresques et différents motifs qui participent pleinement à l’histoire du lieu. À travers cette collaboration, je suis fier d’avoir pu renouer avec cette tradition des arts décoratifs mêlant art et architecture.
> Tortuga. Au septième étage des Galeries Lafayette. 40, boulevard Haussmann, 75009 Paris. Réservations.