La Scène est morte, vive La Scène ! En début d’année, le restaurant qui mis Stéphanie Le Quellec sur orbite fermait ses portes juste après lui avoir permis de décrocher sa deuxième étoile. Si La Scène « historique » n’est plus, ce nom porte-bonheur se réincarne du côté de l’avenue Matignon, toujours sous la houlette de la gagnante de Top Chef 2011.
C’est dans un petit espace divisé en deux niveaux que La Scène nouvelle mouture a jeté l’ancre, laissant à la barre le duo parisien Toro & Liautard. Fort des contraintes du lieu, le duo y écrit son plus beau scénario jusque-là et invite les gourmets à une immersion sous-marine.
IDEAT : D’où vient l’inspiration de ce décor très aquatique ?
Hugo Toro : Avec Maxime (Liautard, l’autre moitié de Toro & Liautard, NDLR), nous voulions dessiner un lieu à l’image de la cheffe, fort en caractère mais aussi féminin et remarquable. En reprenant le nom de son étoilé au Prince de Galles, Stéphanie souhaitait lui donner une nouvelle vie, le réinventer. On l’a donc fait résonner avec l’architecture du lieu, découpé sur deux étages et pauvre en lumière naturelle. On a très vite associé le terme de « scène » à celle d’un théâtre puis à la Seine, le fleuve, avec ses bateaux. Finalement, plus largement au monde sous-marin… Le restaurant est donc parsemé de références nautiques.
La décoration de La Scène s’apparente-t-elle à un décor de cinéma ?
Nous aimons imaginer les lieux qui nous sont confiés dans leur ensemble, écrire leur scénario de A à Z. Avec La Scène, nous avons eu de la chance car Stéphanie nous a fait totalement confiance. Avec le monde aquatique comme fil rouge, nous avons joué sur les couleurs et les matières pour créer autant de références. Les chaises hautes qui entourent le bar ressemblent à des fauteuils d’un capitaine de navire. Le plafond de l’Avant-Scène en rondins de bois fait écho à la coque d’un bateau renversée. Les rideaux du restaurant gastronomique sont teints à la main à la façon d’un dégradé qui pourrait rappeler les traces que laisse l’eau sur un mur. Les luminaires, faits sur mesure, sont en forme de hublot. Le couloir qui mène aux toilettes a été conçu comme une rampe de bateau… Nous voulions donner le maximum de clés aux clients pour une immersion totale.
Il me semble d’ailleurs que ces toilettes ont une histoire bien à elles…
On les surnomme en effet « la Crypte de la petite sirène » ! C’est vrai qu’on s’est amusé à pousser le concept subaquatique d’un cran supplémentaire dans ce petit boudoir… Le plafond est peint à la main avec des caustiques pour rappeler la surface de l’eau. La vasque est taillée dans la pierre. Et aux murs, on retrouve des lampes en forme de… sirènes, évidemment ! Il s’agit de pièces de Raoul Scarpa chinées. Quant aux toilettes, ce sont des modèles de la marque Trone, qui laissent l’eau de la chasse apparente. Même le fond sonore est sur mesure puisqu’il s’agit d’une playlist composée de chants de sirènes. On n’a rien laissé au hasard !
On entre dans le restaurant par l’Avant-Scène. Pourquoi avoir décidé de diviser l’espace en deux lieux ?
Grâce à sa vitrine sur l’avenue Matignon, le rez-de-chaussée est naturellement baigné de lumière du matin au soir. En ça, l’atmosphère y est drastiquement différente qu’à l’étage inférieur, celui de La Scène à proprement parler. On est donc parti de l’idée d’ouvrir cet espace du petit déjeuner au dîner, dans une ambiance décontractée : on y déjeune sur le pouce pour moins de 30 € et on s’y retrouve après le boulot autour d’un cocktail de Christopher Gaglione ou de tapas. C’est un peu un sas de décompression avant la plongée sous les mers, vers le restaurant gastronomique.
Que se passe-t-il sous la Scène/Seine ?
L’escalier conduit de l’Avant-Scène à la Scène, le restaurant gastronomique, la scène où joue Stéphanie. En immersion, on se retrouve sous la coque du bateau, matérialisé ici par un squelette de bois qui structure le plafond. La seule source de lumière est zénithale, filtrée par les lustres d’or d’inspiration Art Déco, dessinés sur mesure. On se croirait dans un cabine du Nautilus ou dans un wagon de l’Orient-Express… On perd aussi la notion du temps et des époques et c’est voulu. A l’image de la cuisine de Stéphanie, le décor se devait d’être intemporel et apatride. Un peu comme celui d’une pièce de théâtre qui se jouera encore dans dix ans, à midi ou à minuit. L’autre challenge était de mettre Stéphanie en scène. Nous avons donc décidé d’ouvrir la cuisine sur la salle et de l’habiller de zelliges orange. En référence au soleil, peut-être, mais aussi pour attirer l’œil vers la vraie protagoniste de cette histoire. On peut même dîner aux premières loges, accoudé au comptoir de la cuisine.
Votre mission se limitait-elle à l’architecture d’intérieur ?
Nous déclinons souvent nos scénarios sur les menus des restaurants, leurs logos, parfois leurs uniformes… Pour La Scène, nous avons dessiné les couteaux, que nous avons recouverts de galuchat, un « cuir » de poisson. Plus on fait, mieux c’est… Au-delà de la décoration, ce sont les concepts et les histoires qui rythment notre métier.
> La Scène par Stéphanie Le Quellec. 32, avenue Matignon, 75008 Paris.