De passage à Tokyo, ceux dotés d’une petite vessie et leurs camarades tenus de les escorter à chaque heure de la journée aux toilettes (chauffants) du Starbucks du coin pousseront un ouf de soulagement. La ville est dotée d’une multitude de cabanettes d’aisance. Qu’elles se cachent dans les parcs ou au coin des rues, ces lieux (gratuits) sont toujours propres – il n’est d’ailleurs pas rare de voir le vélo d’un agent d’entretient faire en permanence le tour de son périmètre – et sécurisées – à la différence de nos toilettes publiques parisiens, elles sont construites sur un modèle ouvert-fermé. Il vous arrivera aussi de décrocher le jackpot en allant au petit coin… dans une construction de Tadao Ando.
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Le toilette n’est plus un lieu à cacher à Tokyo
Ces toilettes qui ôtent un poids aux balades des touristes tenus de boire leur 1,5 litre quotidien font partie du panorama des Tokyoïtes depuis longtemps. Mais cet automne, le cinéaste Wim Wenders, auteur des excellents Paris, Texas (1984) et Les Ailes du Désir (1987), braque les projecteurs sur ces sanctuaires d’intimité dans son nouveau film, Perfect Days.
Si celui-ci se concentre sur le quotidien d’un agent d’entretien interprété par Kōji Yakusho (prix d’interprétation cette année à Cannes pour le rôle), les constructions ultra architecturales de Tadao Ando, Shigeru Ban et NIGO sont aux yeux des amateurs du genre les véritables protagonistes du film. Elles offrent au spectateur toute la puissance du projet « The Tokyo Toilet », lancé en 2020 pour redonner aux cabinets leur juste place dans la société.
Car la question est centrale au Pays du soleil levant. N’importe quel voyageur en transit à l’aéroport de Tokyo Narita le remarquera : chaque commodité est équipée d’un « washlet », toilettes high-tech multifonction. Cuvette chauffante, chasse automatisée, petit jet d’eau pour quiconque souhaiterait se passer de papier… Le tout dans un environnement sans odeur (la vaporisation est aussi une option du washlet) et propre, grâce aux agents d’entretien.
The Tokyo Toilet
« Les toilettes sont un symbole de l’hospitalité japonaise« , peut-on lire sur le site du projet. The Tokyo Toilet a donc invité dans le quartier ultra dynamique de Shibuya 16 architectes et artistes à bâtir 17 W.C. publics aussi originaux que… confortables, puisqu’équipés de sanitaires TOTO, références en la matière.
Alors si, comme dans Perfect Days, les murs transparents des commodités imaginées par Shigeru Ban dans les parcs de Yoyogi Fukamachi et Haru-no-Ogawa déroutent les usagers à première vue, l’architecte n’en a pas oublié leur fonction première : d’une touche sur un bouton, les murs passent à l’opaque pour garantir une intimité totale.
Le personnage de Hirayama roule de toilettes en toilettes à bord de sa camionnette et au son de ses cassettes audio (le film va-t-il relancer une tendance frémissante ?). L’adresse la plus mise en valeur est celle dessinée par le starchitecte Tadao Ando au Jingu-Dori Park, toilettes dans lequel le protagoniste trouve par hasard un jeu de morpion dessiné sur papier, caché dans un coin, donnant lieu à une partie jouée contre un adversaire inconnu qui se conclura par un « thank you » écrit en lettres rondes à la fin du film.
Le concept de Tadao Ando, nommé « Amayadori », dans lequel ces scènes ont été tournées, présente un plan d’étage circulaire avec un toit étendu qui s’étend sur le «engawa» environnant, une passerelle extérieure que l’on trouve couramment dans les maisons et les temples japonais traditionnels.
Hirayama, le personnage joué par Kōji Yakusho, visite également les petits « champignons » blancs de l’architecte primé Toyo Ito, au pied des marches menant à un sanctuaire. Ils ont été dessinés ainsi afin de créer une sensation d’harmonie avec la forêt derrière les W.C. Les «chapeaux» de champignons laissent entrer la lumière naturelle pendant la journée et sont éclairés la nuit, ressemblant au feuillage alentour.
Dans le quartier de Jingumae, un street artiste s’est attelé à la tâche de réinventer les toilettes à Tokyo. Plutôt qu’une structure très architecturale, NIGO a opté pour le retour aux sources sous la forme d’une maisonnette cosy et chaleureuse.
« Le concept de cette réalisation consiste à apprendre du passé. J’ai avant tout pensé à son accessibilité et à sa facilité d’utilisation. Contrairement à la ville de Tokyo en constante évolution avec ses immeubles vertigineux, j’ai imaginé des toilettes qui ressemblent à une bonne vieille maison située tranquillement dans un coin de Harajuku. Les W.C. peuvent sembler nostalgiques pour certains et nouvelles pour d’autres, selon leur âge et leur génération« , a déclaré l’artiste.
En tout, 17 toilettes publiques remarquables parsèment le quartier de Shibuya, à Tokyo, imaginés par 16 architectes : Fumihiko Maki, Junko Kobayashi, Kashiwa Sato, Kazoo Sato, Kengo Kuma, Marc Newson, Masamichi Katayama, Miles Pennington, Nao Tamura, NIGO, Shigeru Ban, Sou Fujimoto, Tadao Ando, Takenosuke Sakakura, Tomohito Ushiro et Toyo Ito.
> Site internet de The Tokyo Toilet.
> Perfect Days de Wim Wenders est en salle depuis le 29 novembre 2023.