Tendance : ces clubs qui ont redéfini l’architecture de la fête

Les clubs ne sont pas de simples lieux de fête, ce sont aussi des laboratoires où la musique, l’architecture et le design s’entrelacent. Longtemps marqués par le glamour des discothèques, les boîtes de nuit ont progressivement adopté une esthétique brute, inspirée de l’univers industriel plus en adéquation avec la montée en puissance de la musique techno. Décryptage.

Depuis les années 1980 avec l’ouverture de l’Haçienda à Manchester, de Berlin à São Paulo en passant par Londres, les friches industrielles se sont peu à peu muées en zones attractives, pour ne pas dire gentrifiées. Avec l’ouverture du Mia Mao, installé dans l’ancienne Halle aux Cuirs de La Villette, non loin des Magasins Généraux, dans un quartier en pleine mutation, Paris se dote enfin d’un immense club à l’esthétique « warehouse » digne des plus grandes destinations festives et avec la même politique partagée du « No photo ». Seul compte l’instant, l’essence même de la fête.


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De la discothèque au club : une nouvelle architecture pour la nuit

Longtemps, la fête s’est nichée dans des décors sophistiqués, où les néons colorés et les jeux de miroirs sculptaient des atmosphères glamour et enveloppantes. Dans les années 1960 à 1980, des architectes de renom façonnaient les discothèques comme de véritables écrins. En Italie, Le Piper Club à Turin (1966), conçu par Pietro Derossi, Giorgio Ceretti et Riccardo Rosso, avant-gardistes du Radical Design, fusionne Pop Art, structures gonflables et scénographies immersives, préfigurant bien avant l’ère numérique une expérience où l’espace et la lumière jouent un rôle aussi important que la musique.

Vous les reconnaissez ? Dans les années 1980, tout le monde se presse aux Bains Douches, d’Alain Chabat à Chantal Lauby en passant par Kate Moss, Vanessa Paradis et David Bowie.
Vous les reconnaissez ? Dans les années 1980, tout le monde se presse aux Bains Douches, d’Alain Chabat à Chantal Lauby en passant par Kate Moss, Vanessa Paradis et David Bowie.

À Paris, Philippe Starck, maître du détournement ludique et du design visionnaire, transforme en 1978 une ancienne maison de bains du XIXe siècle en un temple du nightclubbing : les Bains Douches. Entre velours, mosaïques et éclairages feutrés, le lieu devient l’un des repères les plus emblématiques du Paris nocturne.

Mais avec l’essor de la musique électronique, la relation entre l’architecture et la fête change de paradigme. Fini les boules à facettes et les salons feutrés : les clubs misent sur des volumes vertigineux, des matériaux bruts et investissent d’anciennes infrastructures industrielles, où la hauteur sous plafond et l’ampleur des espaces permettent de créer des expériences plus radicales et une meilleure propagation des boucles hypnotiques. Loin du décor ultra-design, c’est la puissance architecturale du lieu qui fait la scénographie. On ne vient plus en boîte pour voir et être vu mais pour s’abandonner dans les paysages sonores de ces zones d’autonomie temporaire…

5 clubs de légende du monde de la nuit

The Haçienda, à Manchester

Avant les cathédrales techno berlinoises comme le Trésor ou le Berghain, il y a eu The Haçienda. De 1982 à 1997, ce club a électrisé les nuits mancuniennes et marqué à jamais l’histoire du clubbing. Conçu par Ben Kelly à la demande de Factory Records et du groupe New Order, le lieu investit un ancien entrepôt sur Whitworth Street West. Plus qu’un simple espace, l’Haçienda devient un manifeste.

The Hacienda, entre hangar et gymnase.
The Hacienda, entre hangar et gymnase.

Influencé par le modernisme, le designer imagine un décor qui tranche avec les boîtes de nuit clinquantes de l’époque. En jouant sur la signalétique de chantier, les couleurs vives et les volumes ouverts, il transforme l’espace en un terrain de jeu pour les amateurs d’acid house. C’est à l’Hacienda que naissent ses emblématiques rayures noir et jaune qui ont même inspiré le logo d’Off-White à Virgil Abloh.

Fabric, à Londres

Installé dans un ancien entrepôt frigorifique victorien sur Charterhouse Street, face au célèbre Smithfield Meat Market, Fabric a été fondé en 1999 par Keith Reilly et Cameron Leslie. Ce labyrinthe de 2250 mètres carrés, revêtu de briques rouge, est composé de trois salles interconnectées et d’un système sonore puissant.

La Fabric, à Londres.
La Fabric, à Londres.

Dave Parry, maître du son et de la lumière, a orchestré un dispositif innovant : caissons de basses vibrants, haut-parleurs à compression, spatialisation en 3D et une piste Bodysonic où le son se ressent sous les pieds. En 2021, le club se réinvente sous l’impulsion du designer Giorgio Badalacchi. Les modifications notables incluent une réorganisation de la cabine DJ dans la Room 2 pour améliorer l’interaction avec le public, ainsi qu’une refonte du Sunken Bar, intégrant des éléments rappelant l’histoire du bâtiment, à l’instar d’un rideau métallique, clin d’œil à l’histoire du lieu façon boucherie.

Berghain, à Berlin

Le temple berlinois de la techno fascine autant par son aura que par son architecture brute. Ancienne centrale électrique des années 1950, son imposante façade en béton austère incarne le passé de l’ex-RDA. Ce monolithe est transformé en 2003 par le studio berlinois Karhard, qui en fait un manifeste brutaliste, une véritable forteresse.

Le Berghain, à Berlin, temple de la techno.
Le Berghain, à Berlin, temple de la techno.

À l’intérieur, tout est pensé pour dissoudre le temps : vastes salles, murs laissés à nu, éclairage minimal et acoustique parfaite. Mais aucun plan officiel, aucune photo n’en dévoile précisément la structure ni les décors. Le mystère est une règle tacite, renforcée par la politique du « no-photo » et la sélection drastique à l’entrée. Seuls ceux qui franchissent ses portes découvrent son immensité et ses zones secrètes.

À noter que Le Fvtvr, à Paris, organise un marathon techno du 18 avril au 21 avril et en profite pour mettre à l’honneur le travail photographique en noir et blanc de l’ancien physio du lieu mythique, Mischa Fanghaenel. À travers sa série NACHTS, il livre une véritable étude documentaire et journalistique sur la culture club.

D-Edge, à São Paulo

Si Londres et Berlin ont érigé le béton en dogme, São Paulo joue une autre partition avec le D-Edge. Pas d’entrepôt réhabilité ici, mais une expérience sensorielle où la lumière dicte la spatialité. Conçu en 2003 par Muti Randolph, designer brésilien pionnier des scénographies immersives, ce club s’impose comme une œuvre en perpétuelle mutation. Ses murs à LED réactifs redessinent en temps réel la perception des volumes, brouillant la frontière entre architecture et illusion digitale.

D-Edge, le club hypnotique.
D-Edge, le club hypnotique.

Un dialogue hypnotique entre matière et lumière qui relevait à l’époque de l’avant-garde et inspire aujourd’hui de nombreux clubs aux quatre coins du globe. Toujours à la pointe, le D-Edge a poussé encore plus loin son ambition grâce à une extension réalisée en 2010, multipliant ses espaces et affinant son identité visuelle. Plus qu’un club, il est devenu un véritable laboratoire sensoriel, où technologie et design façonnent l’expérience nocturne.

Mia Mao, à Paris

Dix ans. C’est le temps qu’il aura fallu à Arnaud Perrine pour concrétiser son projet le plus ambitieux. Fondateur de Glazart, Kilomètre25 et Jardin21, il inaugure enfin Mia Mao (nom qui découle d’une erreur d’écriture de Mio Mao, une série d’animation de la fin des années 1970), un club de 3000 mètres carrés à la hauteur de sa vision.

Le Mia Mao, nouveau repère des parisiens fans de techno.
Le Mia Mao, nouveau repère des parisiens fans de techno. Fomo collectif / Chloé Pinot

Pensée en collaboration avec le cabinet Philippe Pumain, spécialiste des restructurations de bâtiments historiques (on lui doit notamment la rénovation du cinéma Le Louxor), la réhabilitation s’est attelée à magnifier le lieu, tout en conservant l’héritage d’une esthétique industrielle : 7 mètres sous plafond, bus à deux étages, mezzanines pour flâner et deux longs couloirs, véritables sas de décompression, qui assure une circulation fluide.

Le son, primordiale dans un lieu de cette ampleur, a été confié à l’acousticien David Rousseau (Solution 63 Hz) qui a conçu une acoustique 100% insonorisée, garantissant une immersion totale sans nuisance extérieure. Côté lumière, Minuit Une orchestre la scénographie avec son système laser immersif à 360°. Un éclairage dynamique, pensé pour évoluer avec la musique et redessiner l’espace en temps réel. Sans photos ni vidéos autorisées, le Mia Mao prône un retour à l’expérience authentique du clubbing, ancrant Paris parmi les grandes capitales électro.


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