La vitalité créative de Lisbonne n’est plus à démontrer… Dynamisée par son succès touristique et spéculatif, la ville abrite de nombreux espaces culturels : la Fondation Calouste Gulbenkian, le Centre culturel de Belém, monument minimaliste abritant notamment l’impressionnante collection de Joe Berardo (dont une partie a été saisie par la justice en juillet dernier), le musée d’Art, d’Architecture et de Technologie (MAAT), le centre culturel A Ilha ou la plateforme Carpe Diem Arte e Pesquisa, hébergée dans le magnifique palais XVIIIe du marquis de Pombal. C’est dans cette cité, transformée en musée à ciel ouvert par des street-artistes comme Vhils, Bordelo II ou Aka Corleone que Joana Vasconcelos a installé son vaste atelier, dans d’anciens entrepôts au bord du Tage. Elle y a notamment créé son Cœur de Paris, inauguré porte de Clignancourt en février 2019. Piqué sur un mât à plus de 9 mètres de hauteur, il est composé de 3 800 azulejos peints à la main. Car la plasticienne a réussi à s’imposer sur la scène internationale en sublimant l’artisanat local : la céramique et les azulejos, la broderie et la dentelle au crochet. Dans son sillage, d’autres plasticiens de sa génération émergent, comme Susana Chasse, née en 1972.
Représenter « le corps et l’esprit »
« No Land. No Thing », une de ses dernières séries, reflète son intérêt pour la méditation. Réalisées entre 2018 et 2019, ces peintures, que caractérise l’emploi de matériaux aussi divers que le charbon, la cire, l’acrylique ou le pastel, s’attachent à représenter « le corps et l’esprit ». Loin des œuvres contemplatives de sa compatriote Marisa Ferreira (née en 1983), qui crée, elle, des installations spectaculaires, basées sur des formes géométriques et des couleurs issues de surfaces en aluminium découpées en bandes. « Marisa Ferreira nous fait prendre conscience de notre propre subjectivité, car deux personnes peuvent voir le même tableau en même temps et vivre des expériences complètement différentes, l’une percevant le bleu, l’autre, le rouge », souligne le critique d’art Joakim Borda-Pedreira, fondateur de The Boiler Room Gallery, à Oslo, où l’artiste vit depuis 2008. Habituée des interventions dans l’espace public, elle devait présenter sur le parvis du Grand Palais à l’occasion d’Art Paris une pièce monumentale – environ 2 x 2 x 5 mètres –, composée de déchets industriels et de résine pigmentée de bleu. Baptisée Lost Future, cette œuvre est inspirée par le Plan voisin, dessiné par Le Corbusier entre 1922 et 1925 et destiné à émerger au centre de Paris rasé de ses bâtiments anciens. Ce projet, composé de 18 tours de verre cruciformes disposées dans une grille orthogonale de rues et d’espaces verts, n’a – heureusement ! – jamais vu le jour…
A Lisbonne, le renouveau de la peinture contemporaine
Moins avant-gardiste, Jorge Queiroz (1966-) n’en participe pas moins du réveil artistique de la péninsule ibérique et plus particulièrement au renouveau de la peinture contemporaine. Présenté dès 2003 à la Biennale de Venise, le Lisboète s’appuie sur la tradition picturale du XXe siècle – de Georgia O’Keeffe à David Hockney – pour créer des paysages fantasmés ruisselant de couleurs. En digne héritier du surréalisme, il explore un monde dépourvu de trame narrative, au carrefour de la réalité et de la fiction, de la figuration et de l’abstraction. « Chaque tableau contient une multiplicité de scènes qui se rattachent toutes à un moment ou à une portion d’espace. La difficulté est de pouvoir trouver le lien qui organise, qui donne un plan de consistance à tous ces éléments hétérogènes, explique-t-il. C’est pourquoi celui qui regarde mes œuvres doit être prêt à le faire de façon active. »