Entre béton et bitume, la capitale offre pas mal d’échappées vertes. Arborés, fleuris, ces espaces nous font parfois oublier qu’ils n’existent que grâce au butinage des insectes pollinisateurs, parmi lesquels les abeilles. Depuis quelques années, les ruches poussent, en effet, comme des champignons dans les jardins et sur les toits de Paris : au palais Garnier – pionnier en 1981 –, à l’Opéra Bastille, dans les start-up souhaitant verdir leur image, au Sénat, à Matignon, au Grand Palais ou chez des particuliers passionnés. L’intérêt pour l’abeille est tel que la Fondation GoodPlanet – qui sensibilise aux enjeux environnementaux – a érigé, au bois de Boulogne, La Ruche, une œuvre de 12 mètres de haut à vocation pédagogique.
Au jardin du Luxembourg, on peut scruter un rucher historique vrombissant, le premier fondé dans la ville, en 1856 ! Ouvert au public, il accueille la Société centrale d’apiculture (SCA). Son président, Thierry Duroselle, est incollable sur le sujet : « L’abeille a été mieux comprise à partir du XVIIIe siècle. Jusque-là, on élevait les abeilles dans des paniers ou des caissons de bois, puis on récupérait miel et cire – servant à la fabrication des bougies – en brûlant ou en noyant les insectes. Involontairement, on détruisait ainsi les ruches les plus productives et les plus fortes. »
Cet élevage connaît ensuite une période de désaffection. Raison pour laquelle, au XIXe siècle, « le père de l’apiculture française », Henri-Louis Hamet, obtient de fonder cette institution. La SCA forme chaque année entre 90 et 95 nouveaux apiculteurs, organisant parallèlement le Concours des miels d’Île-de-France auquel participent 200 professionnels ! « À Paris, nous offrons gracieusement des conseils d’installation aux entreprises ou aux institutions et formons des apiculteurs », précise Thierry Duroselle. La SCA gère aussi directement les ruchers du réservoir de Montsouris, du domaine national de Saint-Cloud, du Crédit municipal, de l’Assemblée nationale, du Sénat, de l’Agence France-Presse ou encore du Muséum national d’histoire naturelle, au jardin des Plantes, et de l’Institut national des jeunes sourds. De même, la vénérable société se charge des ruches du parc Georges-Brassens (dans le XVe), un centre pédagogique ouvert aux visiteurs.
En fait, la capitale présente certains avantages pour l’abeille, notamment durant l’hiver, la température y étant plus clémente qu’à la campagne. De plus, l’agglomération est une bonne table, offrant une diversité de plantes que l’insecte ne trouve pas dans les champs de colza étendus, monotones et pauvres en nutriments. Enfin, les pesticides, principale cause de mortalité des abeilles, y sont interdits. Revers de la médaille : l’accroissement du nombre de guêpes et frelons, notamment asiatiques, qui déciment les ruches – comme récemment celles de la Fondation GoodPlanet. Autres ennemis redoutables, les acariens, qui pondent leurs œufs dans les larves d’abeilles. Sans traitement adapté, celles-ci en meurent. Quoi qu’il en soit, les abeilles parisiennes produisent un excellent miel qui vaut son pesant d’or (de 11 à 20 € environ les 120 g). D’ailleurs, si vous vous sentez l’âme d’un apiculteur, sachez qu’aucun diplôme n’est exigé. À Paris, il suffit de posséder une grande terrasse, un jardin, un toit ou d’avoir accès à un lopin prêté par des copains branchés bee et d’installer vos abeilles à 5 mètres du voisinage (selon la loi).
Un gâteau limité
Toutefois, vouloir sa propre ruche, c’est comprendre que le bonheur de l’abeille parisienne tient surtout aux ressources disponibles. Or, Paris est un gâteau de 105,4 km² non extensible. Une météo trop sèche, trop humide ou trop froide, bloquant la floraison printanière durant plusieurs semaines, condamne, en été, des colonies de 40 000 à 80 000 hyménoptères (population estivale d’une ruche en bonne santé) à mourir de faim. D’où l’importance de freiner le nombre de ruches (estimées à plus de 2000 en 2020, selon la préfecture de Paris) pour ne pas provoquer la raréfaction des ressources ainsi que la disparition des pollinisateurs sauvages.
Si certains ne butinent que pour eux-mêmes, l’abeille domestique doit nourrir sa colonie et constituer des stocks de pollen. Durant l’hiver, la reine avec 15 000 à 20 000 survivantes y puisent des vitamines tandis que ce pollen, sujet à la fermentation, participe à la chaleur de la ruche. Nectars et pollens nourrissent également coléoptères, mouches, papillons, bourdons ou l’amicale osmie. Cette abeille solitaire ne pique pas et s’abrite dans les interstices des murs ou dans des creux du bois. On peut d’ailleurs s’amuser à en adopter : en mai, aménagez-lui un refuge sur votre balcon avec des bûchettes fendues ou des tubes de roseaux.
Minuscule, européenne et non agressive, elle présente un comportement identique à celui de sa sœur des ruches. Comme la plupart des espèces sauvages, dont fait partie le bourdon, elle s’attache à une variété végétale. En aidant l’osmie, vous aidez la plante qui en dépend ! Sachez également que ces espèces indépendantes meurent à l’automne, sauf la reine qui refondera un nid au printemps. Finalement, les ruches de Paris nous rappellent le rôle majeur de ces insectes dans notre vie, et un environnement protégé rend chaque pollinisateur parigot forcément plus heureux !
> La Maison du miel. 24, rue Vignon, 75009 Paris. Tél. : 01 47 42 26 70.
> Miel Factory. 28 rue de Sévigné, 75004 Paris. Tél. : 01 44 93 92 72.