En moins d’une décennie, de nouvelles marques remuantes ont, tous univers confondus, révolutionné notre quotidien et démocratisé de façon radicale ce qui était autrefois réservé aux happy few. Cela vaut pour les game changers de la Silicon Valley que sont Uber ou Airbnb comme pour ceux de la mode (COS, H&M ou Uniqlo et leurs co-brandings ou sponsorings artistiques pointus). En design également, on assiste à l’arrivée d’une nouvelle génération convaincue que l’accessibilité du prix peut être un fantastique moteur de création qui pourrait bien reconfigurer le marché. Le meilleur exemple ? Seletti, dont la base-line n’est pas pour rien « (r)evolution is the only solution ».
C’est Stefano, 45 ans, et sa sœur Miria qui pilotent aujourd’hui avec audace la destinée de cette entreprise familiale italienne basée à Cicognara, et dont le cœur de métier est, depuis 1972, l’importation chinoise de petits objets bon marché. « J’ai commencé à travailler à 17 ans. J’accompagnais mon père dans les entrepôts, mais je ne suis pas designer, raconte Stefano Seletti. Il y a une dizaine d’années, j’ai commencé à être fatigué de toujours devoir me battre sur les prix avec des clients de la grande distribution comme Carrefour, Auchan ou Hyper Coop. Ils commençaient d’ailleurs à sourcer leurs produits directement en Chine. Il fallait donc inventer quelque chose pour survivre, c’est aussi simple que ça. » C’est dans ce contexte qu’est née la première collection de produits, toujours « made in China », mais aussi, cette fois, « designed by Seletti » nommée « Estetico Quotidiano ». « Je n’ai rien dessiné, j’ai simplement envoyé un gobelet en plastique, un plateau en carton et une bouteille d’eau minérale qui traînaient dans le bureau à des usines en Chine et je leur ai demandé de les copier en porcelaine ou en borosilicate. » Le résultat ? Un succès, dynamisé par des miniprix, qui se poursuivra avec les assiettes de la collection « Hybrid » signées CTRLZAK (un copié-collé recomposé des emblématiques dessins ornant les anciennes porcelaines chinoises et occidentales).
« Les éditions limitées ne m’intéressent pas, pas plus que les T-shirts produits en Chine et vendus 300 € ici. Tout ça, c’est dépassé », poursuit ce talentueux directeur artistique autodidacte qui, dans la lignée d’un Oliviero Toscani ou d’un Alessandro Mendini, « aime croire que l’utopie est possible ». Héritier du pop art et des mouvements italiens de design radical des années 70, Seletti cultive joyeusement l’irrévérence comme Candide cultivait son jardin. Si ce jardin philosophique existait aujourd’hui, il serait sûrement meublé avec la série hyperkitsch « Industry Garden » en fonte d’aluminium, imaginée par Studio Job et lancée l’an dernier au Salone ! « Nous devons être différents pour exister, ce n’est pas une question de style mais de survie », réaffirme Stefano.
Après avoir élargi ses collections au petit mobilier (les commodes zoomorphiques Sending Animals de Marcantonio Raimondi Malerba, construites d’un bois normalement destiné aux caisses de transport) et aux luminaires (les lampes Monkey et Neon-Art), Seletti démocratise dorénavant l’art au quotidien avec « Seletti Wears ToiletPaper », la collaboration qui séduit même les foires et les galeries les plus avant-gardistes. « Avec Maurizio Cattelan et Pierpaolo Ferrari, nous sommes amis depuis dix ans, mais nous n’avons commencé à collaborer qu’en 2013. Là encore, poursuit Stefano, nous n’avons rien dessiné, simplement imprimé une sélection de photos, empreintes d’humour noir, de ToiletPaper (le magazine culte de Maurizio Cattelan et Pierpaolo Ferrari qui interroge de façon volontairement provocante notre obsession contemporaine pour les images, NDLR) sur de la vaisselle émaillée, des plateaux en plastique et des nappes, soit exactement les mêmes produits populaires et bon marché que ceux que mon père importait dans les années 70. L’installation que nous venons de proposer au salon Pitti Uomo, un clin d’œil aux déballages des colporteurs dans les villages, vient de là. C’est la première fois en quarante-cinq ans d’existence que Pitti invite une marque qui n’est pas une marque de mode. » Et cela coïncide avec la stratégie de distribution de « Seletti Wears ToiletPaper » qui a d’ores et déjà séduit les meilleurs concept-stores, de Colette, à Paris, à 10 Corso Como, à Milan, en passant par la boutique du MoMA, à New York. Et, jolie boucle, le marché chinois s’emballe : « Lane Crawford vient de commander 200 exemplaires dorés de la lampe Monkey pour la nouvelle année du singe ! » confirme le DA.
Après avoir décoré intégralement le lounge de la foire d’art contemporain Untitled à Art Basel Miami Beach début décembre, douze modèles inédits de tapis (3 x 2 mètres), reprenant des images surdimensionnées de ToiletPaper, imprimées avec une technologie à jet d’encre, seront, à partir du 5 mars, les guest-stars de la galerie parisienne d’Emmanuel Perrotin (10, impasse Saint-Claude). Des tapis d’artistes pervertissant les codes de l’iconographie commerciale « photoshopée » à outrance, le tout à prix Seletti, bien sûr (990 €). « Cela signifie que, dorénavant, l’exclusivité n’est plus dictée par le prix mais bien par votre goût », s’enthousiasme Stefano. De quoi fouler aux pieds chez soi cette surconsommation visuelle qui définit si bien notre époque sous emprise Instagram. Avis, enfin, aux esprits créatifs en quête d’éditeurs ! Seletti a ouvert sur son site une section Design for us, invitant tous ceux qui désirent soumettre leurs projets à le faire en ligne. Un peu fou ? « J’aime les idées folles », conclut définitivement Stefano Seletti.