Chapeau à plume et port de tête altier, une femme nous fixe du regard en se servant une cuillerée de jus de viande recomposé, préconisé par le Dr Valdés García, de Montevideo. Si l’affiche de 1906 célèbre la sublime baie de la Concha de San Sebastián (« Donostia », en basque) en arrière-plan, elle ne laisse rien présager de l’importance de la ville dans le monde de la haute gastronomie contemporaine.
À lire aussi : Hotel Zenit San Sebastián
Le bien-être au rendez-vous
En ce début de XXe siècle, les graphistes chargés de promouvoir la petite cité basque espagnole s’attardent volontiers sur les bienfaits de la mer ou le développement du chemin de fer et des casinos. Ils mettront ensuite en avant le festival du cinéma, inauguré au milieu des années 50, puis celui du jazz, la décennie suivante.
De la cuisine, qui tient pourtant une place prépondérante dans la culture locale, il n’est quasiment pas question. Il faudra attendre la fin des années 80, sous l’impulsion du chef Juan Mari Arzak, un Donostien formé à l’école hôtelière de Madrid, pour que la ville signale sa présence à l’international.
L’homme reprend le négoce fondé par son grand-père et crée le mouvement de la nouvelle cuisine basque qui modernise les propositions gustatives tout en conservant le goût du pueblo (« village »). Une recette qui lui permet de décrocher, en 1989, trois étoiles au Guide Michelin et dont le restaurant Arzak, aujourd’hui tenu avec sa fille Elena, a su garder le niveau d’excellence d’antan.
Un secret bien gardé
Pour comprendre la place de la gastronomie à San Sebastián, il faut se tourner vers une coutume locale forte et pourtant peu connue du grand public, les txokos. Traditionnellement réservées aux hommes – qui voulaient « échapper » à la domination des femmes à la maison –, ces sociétés gastronomiques privées sont fermées aux touristes.
À l’image de la centaine de ces clubs existants, Kañoyetan, l’un des plus anciens d’Espagne, est situé dans le casco viejo (« vieux quartier »). Martín Berasategui, huit étoiles au compteur, en est le membre le plus célèbre. « Dans la salle à manger, on se retrouve pour cuisiner, échanger des recettes et discuter avec ses amis », explique Montxo Intxausti, le propriétaire du petit bar Gabarrón Vermutería et partenaire du club Itzalpe.
Au Ganbara, l’un des bars à pintxos (variantes des tapas) les plus courus, Amaia Ganbara et son mari José concoctent le menu au gré des récoltes depuis les années 80. « Le plus important n’est pas la recette, que tout le monde finit par copier… La vraie star, c’est le produit », explique Amaia.
Un avis partagé par Eneko Atxa, le chef de l’établissement triplement étoilé Azurmendi et de NKO, le restaurant fusion basque japonais de l’hôtel Radisson Collection, à Bilbao. Il faut dire que la localisation de San Sebastián est idéale.
Gastronome par nature
La mer Cantabrique est riche en thons, pouces-pieds, poulpes, calamars, sardines et araignées de mer, tandis que les pâturages avoisinants produisent des tomates, des piments, le fameux jambon ibérique ainsi qu’une grande variété de fromages et de champignons.
Dans l’assiette, les chefs les transforment en bijoux d’inventivité, aidés par le savoir-faire de leurs aînés et par un apprentissage théorique et pratique unique en son genre. L’école culinaire dirigée par le chef Luis Irizar ouvre en 1992 à San Sebastián. Figure de proue qui forme les grands chefs de demain, l’école culinaire basque (Basque Culinary Center), comptant une université et un centre de recherche, inaugure son campus en 2011.
La ville et ses environs comptent désormais trois des treize restaurants étoilés du pays (Arzak, Akelarre et Martín Berasategui). Mugaritz et Amelia ont chacun deux étoiles au Guide Michelin, tandis que Kokotxa en possède une. Des pintxos de rue à la haute cuisine étoilée, le petit port basque peut se targuer d’être devenu une référence internationale de l’art culinaire.
À lire aussi : Quatre hôtels en Espagne pour retrouver le soleil