Un richissime ghetto, San Francisco ? Les sommes phénoménales brassées par l’économie numérique poussent tout à la hausse, accusent certains, et ce n’est pas la Salesforce Tower, la future plus haute tour de la ville bientôt inaugurée au 415 Mission Street entre First Street et Fremont Street, qui les fera mentir – Salesforce, jeune éditeur de logiciels né en 1999, est déjà l’un des plus gros employeurs locaux.
Mais le « miracle numérique » a aussi ses laissés-pour-compte, comme ces milliers de SDF – loin des Clochards célestes célébrés par Jack Kerouac, lui-même San-Franciscain de cœur – qui peuplent les rues de Downtown. « C’est indécent, dans une ville follement argentée comme la nôtre, qu’il y ait tant de gens qui dorment dehors. C’est l’autre visage, bien moins reluisant, de la gentrification », tonne Catherine Bailey, directrice artistique de Heath Ceramics, une griffe d’arts de la table que tous les restaurateurs à la mode plébiscitent.
Comme en contrepoint à cette San Francisco impitoyable ne jurant que par le high-tech, cette designer et son mari, Robin Petravic, mettent un point d’honneur, dans leur petite entreprise, « à créer sans l’aide de programmes informatiques, à défendre l’artisanat, à employer des gens divers, car San Francisco, il ne faut pas l’oublier, brille par sa diversité ».
Forts de cette philosophie, loin des sages collines pour millionnaires, ils ont investi une ancienne manufacture dans Mission, le quartier historique des punks, des latinos et des bars lesbiens, le terrain de jeu des street-artistes aussi, qui, depuis les années 80, constellent joyeusement les murs de Balmy Alley ou de South Van Ness Avenue. Une atmosphère cosmopolite, pas trop policée, où les taquerías (restaurants de tacos) sans façon voisinent encore en bonne intelligence avec les repaires à bobos. Mais à mesure que Valencia Street, l’artère principale, s’érige en terre d’élection des concept-stores – et non des moindres, avec sur le même trottoir les excellents The Voyager Shop, Benevolent Tide Club ou encore Farnsworth, échoppe de meubles vintage 24 carats – certaines voix s’élèvent contre « ce Mission en forme d’énième Brooklyn branché », dont les enclaves populaires mincissent à vue d’œil.
San Francisco, finalement, ne serait-elle qu’une métropole occidentale comme une autre, toujours plus clean, plus cool, plus chic, même sous ses drôles d’atours bohèmes ? San Francisco la libertaire se dissoudrait-elle dans le consumérisme ambiant ? Ne la déprécions pas trop vite. Même si la municipalité a banni, en 2012, la nudité dans ses espaces publics – difficile à croire, mais avant cette date, elle était monnaie courante ! –, on croise toujours dans les rues du Castro et de South of Market, bastions LGBT (lesbiens, gay, bisexuels et transgenres) de la ville, des accoutrements plus qu’olé olé qui passent comme des lettres à la poste.
La fibre peace and love et soixante-huitarde ? Elle perdure, coriace, sur les rives ouest de la cité, dans le quartier d’Outer Sunset précisément, qu’on classera sans hésiter parmi les plus délicieux d’Amérique – des micromaisons des années 30 au coude à coude, des couleurs pastel, des trottoirs plantés de crassulacées. Il faut flâner là, à la coule, au milieu des surfeurs à dreadlocks, des étudiants et des graphistes en free-lance qui refont le monde en terrasse. Il faut musarder le long de Judah Street entre librairies à la pointe (Black Bird Bookstore), tatoueurs et restos farm- to-table, comme le délicieux Outerlands, avant d’assister, à quelques blocs, au coucher de soleil sur Ocean Beach. Et puis, çà et là, on note des pancartes « refugees welcome » (bienvenue aux réfugiés) clouées aux murs, voire, dans certains jardins, des banderoles anti-Trump et des messages à la gloire de Bernie Sanders qu’on n’a pas eu le cœur de décrocher depuis la dernière campagne présidentielle : San Francisco, au moins dans cette frange ouest, n’a rien abandonné de son progressisme.
BALADES
• Traverser le Golden Gate Bridge à vélo, pousser jusqu’au port charmant de Sausalito, où baignent d’adorables maisons flottantes, puis revenir à San Francisco par le ferry.
• Le Golden Gate Park, constellé de lacs, vaut la balade, d’autant qu’il abrite en son sein le De Young Museum, dessiné par Herzog & de Meuron,
et la California Academy of Sciences imaginée par Renzo Piano.
• Les collines Twin Peaks, le Buena Vista Park ou le Corona Heights Park offrent les vues les plus extraordinaires sur la ville.
• La Cathedral of Saint Mary of the Assumption, colosse de béton érigé en 1971 par Pietro Belluschi et Pier Luigi Nervi, est l’un des édifices religieux les plus impressionnants
du monde.
SE DÉPLACER & SE RENSEIGNER
Le métro de San Francisco, malgré une certaine vétusté, s’avère rapide, mais il ne va pas partout. Les taxis restent abordables (plus chers qu’à Los Angeles, mais moins qu’à Paris !).
Office du tourisme de San Francisco : fr.sftravel.com
PROFIL EXPRESS
• San Francisco, en 2016, comptait 870 887 habitants (4 679 166 dans son aire urbaine), ce qui la plaçait « seulement » en quatrième position des
villes californiennes, derrière Los Angeles, San Diego et San José.
• Elle tient son nom de saint François d’Assise : les premiers missionnaires espagnols à s’y installer, les frères franciscains Francisco Palóu et Pedro Cambón, ont débarqué là avec l’expédition
de l’explorateur José Joaquin Moraga au XVIIIe siècle. À cause de son épais brouillard, la baie aurait échappé aux expéditions précédentes, arrivées en Californie au XVIe.
• Les premiers habitants de la région étaient les Indiens Ohlones.
• San Francisco devient une véritable ville autour de 1850, comptant
25 000 habitants, quand les chercheurs d’or s’y installent en masse.
• Ces dernières années, les entreprises liées aux nouvelles technologies, historiquement installées dans la banlieusarde Silicon Valley, choisissent de plus en plus de s’implanter à San Francisco même et bousculent les équilibres de la ville.