Il n’y a pas si longtemps, la gigantesque friche industrielle de Saint-Ouen (93) située en bord de Seine était encore un no man’s land. Mais ça, c’était avant 2008. Il y a neuf ans, la municipalité a entamé la reconquête de son territoire communal et la ZAC des Docks a été créée pour mener à bien la réhabilitation d’un site de 100 hectares. Acquéreur d’une parcelle de 12 hectares jadis occupée par Alstom, le promoteur Nexity se met alors dans la boucle de cette ambitieuse mutation en écoquartier. Occupé pendant plus d’un siècle par diverses emprises industrielles isolées du tissu urbain, le projet dans son ensemble entend restituer ce territoire aux habitants et relier à nouveau le centre-ville au fleuve en se réappropriant ses berges.
Au chantier colossal de dépollution et de reconversion du site s’est ajoutée dès le départ la volonté d’une mixité sociale, fonctionnelle et générationnelle. D’autant que la diversité s’inscrit au cœur du projet d’aménagement audonien : logements, bureaux, commerces, activités et équipements collectifs doivent s’y superposer. Très vite s’est également dessinée la nécessité d’une haute qualité environnementale dans la maîtrise d’ouvrage, conduite par Séquano. Tant dans la gestion des eaux pluviales et du chauffage urbain que dans la collecte pneumatique des ordures ménagères, le foisonnement de parkings et de logements « BBC », la démarche de développement durable a été appréhendée dès la phase de conception urbaine.
L’exemplarité environnementale a donc été pesée dans toutes ses dimensions (eau, énergie, matériaux, santé, pollutions…) et le restera tout au long de l’opération – certifiée ISO 14001 en 2012 –, qui durera jusqu’en 2025. Ce qui permet d’ores et déjà à l’écoquartier en plein essor de s’afficher comme l’une des plus importantes opérations d’aménagement d’Île-de-France : entre les habitations (un millier de logements déjà livrés sur les 4 000 en prévision), les bureaux, la crèche, les écoles, le parc paysager de 12 hectares et les jardins partagés avec une grande serre pour expliquer la reconfiguration du territoire et les projets en cours, seule subsiste l’ancienne cathédrale industrielle et son savant mélange de structures métalliques et de verrières. Les volumes hors normes de la halle, confiés à l’agence d’architecture et d’urbanisme Reichen et Robert & Associés – la Grande Halle de la Villette, à Paris, et les Grands Moulins de Pantin, c’est eux ! –, s’organisent en deux nefs symétriques : l’une construite et l’autre laissée libre, afin de conserver les perspectives et le rythme répétitif de l’architecture originelle, où toitures et façades ont été reconstruites ou restaurées à l’identique. En tête de halle a été construit un parking public silo de 725 places.
Cet élan ne pouvait échapper au designer Olivier Saguez, dont la Manufacture Design, installée à Saint-Ouen depuis douze ans, n’a cessé de grandir, passant de 50 collaborateurs à 140 aujourd’hui. Malgré les beaux volumes et l’accueillant réfectoire de l’agence située rue Palouzié, celle-ci était à l’étroit. Dans le seul bâtiment industriel classé des anciens docks – deux autres halles adjacentes ont, elles, été rasées –, construit en 1922 et long de 260 mètres sur 66 de large, ce sont quelque 17 000 m2 au sol qui s’apprêtent à vivre une tout autre ébullition que les chaînes de montage des transformateurs ou les essais de pilotage du tramway de Pékin. Pour l’anecdote, S&P travaille depuis plusieurs années avec Alstom et la SNCF au design du futur TGV de la ligne Paris-Bordeaux.
De construction plus basse, cette centenaire s’impose comme une respiration. Elle a en tout cas inspiré l’agence dans le récent profilage de sa vie de bureau. Mi-usine, mi-campus, mi-laboratoire, mi-café, la nouvelle Manufacture Design, qui se déploie sur 4 300 m2 (environ un tiers de la halle totale), ne se veut pas seulement une vitrine d’accueil pour les clients et prospects de l’agence, dont 30 % de l’activité sont hors de France grâce à des implantations à Stuttgart et à Shanghai notamment. Pour Christophe Vergnaud, architecte associé chez S&P, il s’agit de travailler autrement, « de créer des zones spécifiques pour travailler en groupe, en amphi, en atelier, en brainstorming, pour phosphorer ensemble ou au contraire s’isoler ». À la transversalité des métiers du design global (stratégie de la marque, design produit ou service, identité visuelle, architecture…) répondent des espaces de travail nomade ou multi-usages répartis sur deux plateaux de 1 000 m2 reliés par un grand escalier ouvert, mais aussi une matériauthèque incluant des zones de test de produits.
Visibles depuis l’accueil, les deux ateliers de prototypage donnent le ton : ici, on est dans la circulation des idées, le coworking et le « faire », tout en accordant une place essentielle au bien-être de chacun. La « zen cabane » pour se ressourcer au milieu d’un jardin tropical, les deux salles de sport, l’espace mobility pour les skates et les vélos, le potager, les hamacs ou le vrai restaurant pour détendre les réunions avec les clients participent de la même intention : créer dans la bonne humeur.
« Le rendez-vous le plus important, ce n’est pas le rendu du projet, c’est le premier briefing », aime-t-on à dire chez S&P, qui a également décidé d’inscrire la Manufacture dans la transmission des savoirs en y intégrant Design Act-L’école en agence en partenariat avec Strate. Cette école de design située à Sèvres (Hauts-de-Seine) fera travailler une classe d’étudiants en post-master sur « des projets d’utilité publique sur le territoire du 93 », précise Dominique Sciamma, son directeur, ainsi que des clients en formation professionnelle sur le design management. Autre façon d’imprimer ce « lifestyle en archipel » au cœur de l’urbain, le Café Design a été confié à la jeune marque de produits méditerranéens Kalios. Déjeuner au bureau, oui, mais sous le soleil exactement !