Même à 87 ans, Alessandro Mendini ne s’était jamais arrêté. Avec son frère Francesco, architecte lui aussi, ils cumulaient, à eux deux, cent ans de culture archi-design. C’était un intellectuel à la sensibilité presque enfantine. Oui, enfantine ! Car la première pièce du puzzle réside dans une enfance passée dans l’hôtel particulier familial, bijou Art déco milanais commandé par les Boschi-Di Stefano à l’architecte Piero Portaluppi, l’auteur de la fameuse Villa Necchi. Campiglio Le lieu est aujourd’hui devenu un musée.
Dans ces mêmes murs, Antonio Boschi, l’oncle d’Alessandro, ingénieur, a le dépôt de brevet facile. Marieda Di Stefano, sa femme, collectionne et reçoit de grands peintres. Le jeune Alessandro Mendini voit tout et ne se spécialise dans rien, pas même dans l’architecture, étudiée au Politecnico. C’est pourtant son Groninger Museum, inauguré en 1994 aux Pays-Bas et pour lequel il a invité, notamment, Michele De Lucchi, Philippe Starck et Coop Himmelb(l)au à collaborer avec lui, qui l’a rendu célèbre dans le monde entier.
Côté design, c’est son fauteuil Proust, édité dans un premier temps par Cappellini, qui fait sensation dès 1978. Cette bergère pointilliste aux allures Régence est suivie, en 1983, d’une autre icône, le tire-bouchon Anna G. pour Alessi, marque dont il a été directeur artistique. Deux projets à vingt ans d’écart, Tea and Coffee Piazza puis Tea and Coffee Towers, ont montré qu’il était possible de créer des objets comme on crée de l’architecture.
Au Groninger Museum, Mendini a d’ailleurs aussi montré l’inverse : de l’architecture conçue comme un objet. Le maître était prolifique. Avec trois Compasso d’Oro sur ses étagères, il représentait l’Italie intellectuelle, celle qui crée sans relâche. Attiré par les débats critiques, il a d’ailleurs délaissé l’architecture pour le journalisme, devenant rédacteur en chef de Casabella (1970-1976), de Modo (1977-1979) et, enfin, de Domus (1979-1985 puis 2010-2011).
Lui qui détestait l’idée d’ouvriers-robots encourageait par ses objets la créativité des artisans. La sienne pétillait, faisant fi de l’aspect décoratif. Considérant le design comme un langage, il l’a transformé en aventure culturelle, commençant par faire de l’agit-prop pour la contreculture du design (son fauteuil Proust qui marie les formes d’une bergère traditionnelle avec la technique de peinture pointilliste) avant de s’adonner à sa discipline dans et en dehors du système, non sans ironie.