Chez Smeg, on a la culture, sinon du secret, du moins de la discrétion. Paradoxalement, la chose est visible dès l’arrivée sur le site du fabricant italien d’électroménager à Guastalla, en Émilie-Romagne, qui réunit le siège social et l’une des trois usines de la marque. Car c’est à peine si on remarque, bien abrités derrière de hauts peupliers, les bâtiments. Ils abritent la fabrication des appareils de cuisson (centres de cuisson, fours, tables) et du petit électroménager Dolce & Gabbana, le stockage de quelque 60 000 pièces détachées destinées au SAV, pour le monde entier, et les entrepôts.
Si, à l’entrée, les drapeaux saluent les visiteurs selon leur nationalité, on sent bien une forme de prudence à vous laisser pénétrer dans l’usine. Celle-ci abrite une installation très automatisée pour limiter la manutention, où deux immenses presses dernier cri forment les cavités, grilles et lèchefrites, qui seront acheminées vers les 15 lignes de montage grâce à un robot autonome. En fait, cette retenue s’explique quand on sait combien la concurrence agite ce secteur, où la copie est devenue monnaie courante et contre laquelle Smeg lutte quotidiennement.
Quant au siège social, imaginé en 2002 par l’architecte Guido Canali, un enfant du pays comme Vittorio Bertazzoni qui fonda Smeg en 1948, l’exercice d’épure le dispute à la sobriété. Posé sur une pièce d’eau, le bâtiment en brique rouge typique de la région, offre une architecture sans artifice. À l’intérieur, les lignes de fuite des travées desservant les bureaux, baignées de lumière naturelle, impressionnent. De même que les toiles et sculptures qui animent l’immense hall d’accueil. Nulle volonté d’épate, mais bien celle des dirigeants de partager avec le personnel la passion familiale pour l’art contemporain.
Parmi les œuvres exposées, deux réfrigérateurs aux couleurs vives et aux motifs typiquement siciliens : citrons, charrettes, chevaliers… Ces étonnants modèles FAB28 sont le fruit de la collaboration de Smeg avec Dolce & Gabbana. Les 100 modèles de cette série spéciale sont tous différents et décorés à la main par des artistes siciliens. Ils célèbrent le made in Italy, l’enracinement local et la fierté des traditions. « C’est une véritable collaboration entre deux entreprises italiennes aux valeurs communes, confie Vittorio Bertazzoni, le patron de Smeg, représentant de la troisième génération. Je suis surpris par le succès rencontré par le petit électroménager qui fait aussi partie de ce projet, car ce sont des produits d’exception, mais coûteux. Domenico Dolce et Stefano Gabbana fourmillent d’idées pour de nouvelles collections ! Nous avons des projets pour au moins les quatre prochaines années. »
Au siège, un grand showroom présente les collections Smeg en vente et les diverses typologies de fours, plaques, hottes et autres caves à vin ou machines à café. Smeg y expose ses « esthétiques » : des lignes de produits nées de collaborations avec des grands noms de l’architecture. « Mon père a commencé a travailler avec les architectes il y a quarante-cinq ans, ce qui à l’époque ne se faisait pas dans notre secteur, confie Vittorio Bertazzoni. Nous avons continué dans cette voie, car les architectes savent proposer des créations au caractère intemporel, ce qui convient parfaitement à notre vision de l’électroménager. » Guido Canali sera le pionnier avec la ligne « Classica », dès 1985, suivi notamment de Renzo Piano en 1995 avec « Piano Design » ou, plus récemment, de Marc Newson et de la collection qui porte son nom, à l’occasion des 60 ans de la marque en 2008.
Au sous-sol, les centres de cuisson, comme le modèle coloré Portofino, jouxtent les lave-linge, lave-vaisselle et l’univers du froid. On retrouve, entre autres, les célèbres FAB, déclinant couleurs et motifs. Une façon de montrer que l’on peut être sérieux tout en sachant introduire de la légèreté, voire de l’impertinence, dans ses produits. D’ailleurs, face au succès de cette esthétique si particulière, Smeg s’est lancé dans le petit électroménager avec une gamme approchante. Comme l’explique Vittorio Bertazzoni, « nos réfrigérateurs FAB sont très connus et appréciés du public. Ils apparaissent fréquemment dans les émissions culinaires. La gamme de petit électroménager qui en reprend les codes répond à une forte demande d’appareils que l’on a plaisir à montrer. Depuis leur lancement, il y a cinq ans, ils représentent déjà 12 % de notre chiffre d’affaires. » Après les grille-pain, la bouilloire, le robot ménager, le blender, le mixeur ou le presse-agrumes, Smeg va continuer à étoffer la gamme de ses machines à café et accessoires.
Si le design est essentiel pour la marque, la technologie ne l’est pas moins. Smeg affiche depuis sa création quelques brevets et innovations, comme le premier lave-vaisselle 14 couverts (1970) ou la pyrolyse pour les fours de 90 cm. Le site de Guastalla dispose d’un centre de R&D où sont concoctées les nouveautés, et où l’on étudie les évolutions à venir, comme le connecté, l’amélioration des performances énergétiques des fours… « Nous consacrons 4 % de notre chiffre d’affaires à la R&D, ce qui représente un investissement important, indique le président, lequel permet le développement de nouveaux produits, comme notre Blast Chiller, un appareil de refroidissement destiné aux particuliers, nos fours et caves à vins connectés et, prochainement, la purification de l’air. Nous améliorons aussi sans cesse le site de production. Nous ne sommes pas des géants, nous devons donc investir pour rester dans la course. »
Quant aux 70e anniversaire de la marque cette année, Vittorio Bertazzoni n’entrevoit pas d’événement particulier : « Nous n’aimons pas nous mettre en avant. Nous préférons que ce soit les produits qui parlent pour nous. » Une autre preuve du sens de la mesure qui règne ici.