Cette Normandie des petits villages de Seine-Maritime, à une quarantaine de kilomètres de Dieppe, était totalement étrangère à Ionna Vautrin. À force de chercher la maison de ses rêves sur le site Architecture de collection, la designer a fini par en dénicher une, jusqu’au-boutiste dans sa conception et bâtie dans les années 2000 en dix-huit mois, de ses propres mains, par l’architecte Jean-Baptiste Barache (agence Arba). Un projet que Ionna Vautrin qualifie d’« assez atypique » – son constructeur avait alors en tête Éloge de l’ombre, fameux essai de Junichirô Tanizaki sur l’esthétique japonaise.
Dès la première visite et aujourd’hui encore, la créatrice s’immerge entre ces murs comme à la manière d’une expérience où l’on évolue en permanence dans une coque intérieure en pin clair. Celle-ci, suffisamment ouverte sur l’extérieur, se gorge de soleil et de chaleur. Le passage de la lumière dans les différentes pièces réchauffe donc cette chapelle de bois bioclimatique, par ailleurs très bien isolée avec de la laine de roche. Au centre trône un poêle de masse qui fait office de four à bois – en brique réfractaire, il fonctionne lentement mais sûrement. La designer en a ajouté un second pour l’hiver.
Une grande radicalité
Pas l’ombre d’un radiateur dans cette construction passive et autonome. Une plateforme-terrasse, en bois elle aussi, sur pilotis de béton, qui n’a nécessité aucuns travaux de terrassement, l’isole même de l’humide sol normand – un champ de 2 000 m2 lui sert de décor. À l’origine, la maison n’était d’ailleurs pas raccordée au réseau électrique. Un luxe dont Ionna Vautrin ne saurait se passer, ayant installé ici son bureau. « Cette architecture relève de l’ascétisme, du monacal. Elle révèle une grande radicalité, qu’il s’agisse des approches théorique, conceptuelle, mais aussi pratique, qui ont permis de l’édifier », résume la jeune femme.
Les 180 m2 sur trois niveaux accueillent, au rez-de-chaussée, une vaste cuisine – la designer a autrefois passé un CAP cuisine en cours du soir, preuve de son intérêt en la matière. Le grand salon-bibliothèque, situé sous une boîte suspendue qui abrite une chambre et un bureau, jouit comme les autres pièces d’une vue imprenable sur la nature environnante. Au premier étage, les espaces de repos, trois cellules closes par un rideau, se succèdent. Au-dessus encore a été installée une quatrième chambre, la seule à se fermer avec une porte.
S’installer sans dénaturer
L’idée de Ionna Vautrin est de reconnecter les lieux avec ce qu’elle y apporte. Son histoire personnelle infuse petit à petit ce décor qu’elle habite à sa façon. L’épure s’amoindrit à mesure que les couleurs entrent. Chaises expressives et autres objets courbés jouent leur propre partition. « J’adore cette maison et son espace, quand bien même ils sont à l’opposé de ce que je peux dessiner. Il y a très peu d’arrondis, par exemple, mais la chaleur du bois omniprésent m’a beaucoup parlé. Par certains côtés, cette construction me fait penser au travail du plasticien Donald Judd », analyse-t-elle.
En respectant l’ambition de l’architecte sans la dénaturer, tout en créant ici son chez-soi, Ionna Vautrin a instauré un dialogue entre design et architecture. Elle caresse d’ailleurs déjà l’envie de s’y établir de façon permanente. Elle qui suit des cours de céramique à Paris prévoit en effet d’y installer un atelier : « Pour être doublement proche de la terre… », sourit-elle. Et pour, dans cette maison ouverte à la nature et aux autres, y exercer son métier à la manière d’un workshop. Celui qui n’en revient toujours pas, c’est Orso, le chat noir aux yeux d’or (voir dernière photo).