Peintre, designer, sculpteur et décorateur d’intérieur… Tout au long de sa carrière, Piero Fornasetti (1913-1988) s’est échappé de tous les rôles où l’on voulait l’enfermer pour mieux les transcender. Dès ses études à l’Académie des beaux-arts de Brera à Milan (1930-1932), il conteste les méthodes d’enseignement qui, selon lui, sont dépassées car elles interdisent le modèle vivant.
Or Fornasetti a fondé toute son œuvre sur l’étude du corps, ce qui lui permis d’acquérir un sens des proportions indispensable pour le dessin d’un objet ou d’une architecture. Expulsé d’Italie durant la Seconde Guerre mondiale, il atterrit en Suisse (1943-1946) et débute alors sa carrière artistique.
Fornasetti innovant et conservateur
Lorsqu’il peut finalement rentrer à Milan après une année à faire le tour de l’Afrique, Piero Fornasetti réalise l’un des ses premiers projets, Peinture de foulards en soie, qui attire l’attention du maestro Gio Ponti. Une rencontre qui marque le début d’une longue collaboration…
À partir des années 1950, il ouvre plusieurs boutiques remarquées pour leurs décors exubérants. À l’heure où le modernisme minimaliste domine le monde, Piero Fornasetti laisse libre cours au figuratif et à la fantaisie. C’est un designer à la fois innovant et conservateur, puisqu’il met sur un pied d’égalité l’ergonomie, le concept et la provocation. Après son décès en 1988, son fils Barnaba Fornasetti prendra les rênes de l’entreprise et choisira de continuer à faire vivre l’œuvre de son père.
Jusqu’au 25 juillet 2021, l’exposition « Fornasetti Theatrum Mundi » confronte le design fantaisiste des centaines de créations de l’atelier Fornasetti à l’architecture du Palazzo della Pilotta à Parme. Une façon de raconter comment ce créateur hors normes a régénéré le patrimoine classique italien.
Ce théâtre du monde propose un parcours qui suit différentes thématiques intimement liées à l’univers de Fornasetti : les ruines et l’utilisation du passé, l’architecture, la musique, le thème et les variations, le dessin, le graphisme, la collection, l’objet du quotidien et la dimension illusionniste et onirique.
Le souvenir et l’oubli par le décor
Le trompe-l’œil est en effet l’une des marques de fabrique de Fornasetti. Cette passion éclot fort opportunément lorsque la Seconde Guerre mondiale éclate. Cet antifasciste convaincu propose ses services à la caserne où il est mobilisé pour la repeindre. Le but est bien sûr d’éviter de monter au front et de mourir au combat.
Il réalise alors un incroyable trompe-l’œil floral afin de rester à Milan le plus longtemps possible. Après le conflit, il en réalise de nombreux autres. L’exposition commence donc dans une galerie de la bibliothèque palatine avec des trompe-l’œil qui se fondent parfaitement dans le décor classique.
Au début des années 1950, le duo Ponti-Fornasetti se montre curieux des nouvelles techniques d’impression et se démarque en proposant du transfert de dessin d’art sur des objets. Ils conçoivent ensemble une série de bureaux aux formes géométriques angulaires, identitaires du style Ponti, auxquels sont associés des motifs architecturaux ou floraux signés Fornasetti.
Le design d’art-chitecture
Influencé par l’architecture grecque et romaine, le surréalisme et l’art métaphysique, Fornasetti donne ainsi vie à des meubles qu’il habille de façades de bâtiments néoclassiques pour apporter de la profondeur et de la perspective aux surfaces planes. Durant les très sages années 1950, son travail est jugé transgressif. L’industrie de masse en plein essor n’est pas prête pour ce type de décoration jugé excentrique. Fornasetti est donc forcé de lancer sa propre entreprise afin de commercialiser les produits de sa conception.
Dans les combles du Palazzo della Pilotta, les sublime traits de la série « Architettura », lancée en 1952 à la Triennale di Milano, viennent ponctuer le rythme de la charpente en bois. Avec ses dessins aux fines lignes noires, cette série rappelle la précision de la gravure à l’encre et démontre comment Fornasetti s’approprie la peinture métaphysique de Chirico. Aujourd’hui encore, les nouvelles créations Fornasetti perpétuent la technique d’impression des traits dans un premier temps avant, dans un second, d’appliquer les motifs à la main.
En feuilletant un magazine de la fin XIXe siècle, Fornasetti tombe un jour sur l’image en noir et blanc d’un femme énigmatique aux proportions parfaite. Ce visage, c’est celui de Lina Cavalieri (1874-1944), une soprano italienne qui fascina par sa beauté et son combat contre le conformisme de son époque.
350 assiettes déclinent le même visage
Fornasetti la choisit pour un projet de variations autour d’un même visage, en dessine une (1952) puis deux… et ne s’arrête plus ! Au total, on compte plus de 350 assiettes « Tema e Variazioni ». La production en série de ce collage de motifs répétitifs peut êrete considérée comme un signe avant-coureur de l’émergence du Pop art et témoigne de l’avant-gardisme de Fornasetti. Au Palazzo della Pilotta, c’est dans le Théâtre que le service est exposé de manière magistrale, les assiettes jouant le rôle de spectateurs.
Piero Fornasetti se moquait d’être innovant et ne croyait ni aux mouvements ni aux classifications de son époque. Selon lui, être artiste et designer signifiait passer outre les préjugés pour aller à l’encontre des tendances. La notion de collection saisonnière ne correspondait pas à sa philosophie parce que selon lui, un meuble devait pouvoir endurer de nombreuses générations. Cette exposition démontre une nouvelle fois que ses créations sont intemporelles.
> Piazza della Pilotta, 3, 43121 Parma PR, Italie. Jusqu’au 25 Juillet 2021. complessopilotta.it