Du Missouri à New York en passant par la Corée
Né dans le Missouri en 1928, Donald Judd présente un déroulé de carrière singulier. Il grandit dans cette région du Midwest et y passe ensuite toutes ses vacances dans la ferme familiale. Une période rurale qui, d’après son fils Flavin Judd, directeur artistique de la Judd Foundation, le marquera, et qui sera à l’origine de l’épure et de la simplicité radicale qui caractérisent son travail.
Après le lycée, l’artiste s’enrôle dans l’armée. Envoyé en Corée, il y intègre une équipe d’ingénierie. De retour aux Etats-Unis, il part étudier à New York : d’abord la philosophie, puis l’histoire de l’art et enfin la peinture. Il se lance aussi dans l’écriture d’essais. Il y développe ce contre quoi il lutte dans sa propre pratique artistique: la composition, le figuratif, l’équilibre… Bref, un condensé de toute l’histoire de l’art. Une histoire de l’art dont il veut se défaire à travers ses créations. Il trouve alors un semblant de réponse dans le travail de Jackson Pollock, Mark Rothko ou encore de Barnett Newman, les grands maîtres de l’abstraction.
Un long processus de recherches
Néanmoins, Judd prend conscience qu’il doit produire une œuvre qui lui est propre, et ne pas chercher à devenir le nouveau Matisse ou le nouveau Rothko. Un long processus de recherches personnelles, qui aboutira à l’issue d’une cinquantaine d’années.
Le passage à la 3D
Et c’est une succession d’insatisfactions qui mène l’artiste à trouver son propre solfège. Il commence par ajouter du sable à sa peinture, pour ensuite y associer des objets. Les extrémités de ses toiles sont alors courbées, comme pour les faire sortir du mur, et ainsi contourner l’aspect plat de la peinture classique.
La révélation a lieu au début des années 1960. Alors qu’un objet qu’il souhaite intégrer à une pièce est manifestement trop lourd pour être fixé au mur, il le place au sol. Il entraperçoit alors un début de réponse à sa quête artistique. Elle devient totale, quand il passe du bois au métal. En effet, le bois ne lui donnait pas totale satisfaction, car il devait être peint. Un geste encore trop proche de la pratique traditionnelle de l’art. Pour Judd, la finition métallique met l’accent sur l’œuvre même, plutôt que sur l’habileté de l’artiste. Il trouve son salut chez les Bernstein Brothers, une usine de métallurgie dont la boutique était située à quelques pâtés de maison de son loft new-yorkais de la 19e rue.
« Specific Objects », le manifeste
Essayiste et critique d’art, l’Américain a offert sa plume à diverses publications spécialisées telles que Art News et Art Magazine. Dans « Specific Objects », paru en 1965, il abolit la distinction entre la sculpture et la peinture, issue de l’académisme artistique. Pour Judd, les œuvres d’art ont vocation à offrir une nouvelle organisation à l’espace. Une théorie qu’il met en application avec Stack, peu de temps après la publication de ce texte.
« Stack », l’icône
Cette œuvre majeure est reconnaissable à ses alignements verticaux de pavés colorés. Ils répondent à une organisation spécifique : leur nombre varie en fonction de la hauteur de mur occupée, mais ne doit jamais être impair, afin qu’aucun élément ne soit identifié comme la pièce centrale. Au même titre, la partie basse de l’œuvre ne doit pas toucher le sol, car elle pourrait être assimilée à la base de cette colonne. Enfin, l’espace séparant chaque pièce doit être aussi large que celles-ci, car il fait aussi partie de l’œuvre, dont le but est d’embrasser le volume qui l’environne.
Minimaliste malgré lui
Donald Judd n’a jamais vraiment apprécié l’étiquette « Minimalisme » parce que « inventée par des critiques, qui tentaient de résumer le travail d’un petit groupe d’artistes, et qui ne le comprenaient pas. Un terme désobligeant, peu flatteur et péjoratif », a ainsi résumé Flavin Judd, lors d’une conférence donnée à l’occasion d’une exposition parisienne du travail de son père en 2019 dans la galerie Thaddaeus Ropac.
Design et architecture en ligne de mire
Initialement basé à New York, c’est à Marfa, au Texas, que Donald Judd vivra les dernières vingt années de sa vie. C’est dans cette même ville qu’il s’installe pour étendre son travail à l’architecture et au design, et ainsi poursuivre sa volonté de fusionner les arts. A partir des années 1970, il y réalise des œuvres à grande échelle, y achète toute une série de bâtiments, avant d’y établir sa fondation dans les années 1980. Le but de celle-ci est d’installer son travail et celui d’autres artistes de manière permanente, et ce dans des bâtiments adaptés. En effet, Judd rejette, sans surprise, les musées classiques. Dans les colonnes du Monde, son ancien assistant rapporte qu’« il jugeait que les œuvres y étaient mal installées, galvaudées, de simples prétextes aux bâtiments qui les abritent (…) Il pensait qu’un autre modèle était à inventer. » S’il n’a pas révolutionné la muséographie, force est de constater que son rapport à l’espace a forgé notre esthétique contemporaine.