Si, à Pékin, il n’est pas toujours facile pour une personne ne parlant pas le mandarin d’indiquer sa destination à un chauffeur de taxi, montrer en revanche sur un papier le nombre 798 fonctionne comme un sésame. On raconte même que ce quartier des arts serait devenu la cinquième destination dans le classement des sites à visiter, après la Cité interdite, la place Tiananmen, le stade olympique et la Grande Muraille de Chine. Autrement dit, le 798 Art District est aujourd’hui une étape obligatoire lors d’un séjour dans la capitale chinoise. Pas seulement pour les amateurs d’art avertis. Il en va aussi pour les étudiants ou, plus simplement, pour les curieux qui viennent s’y distraire. Et la présence de l’Ullens Center for Contemporary Art (UCCA) dans cette zone n’est sans doute pas étrangère à cet engouement. Il y a une dizaine d’années, les collectionneurs Guy et Myriam Ullens, férus d’art contemporain chinois, ont décidé de créer un centre à Pékin pour promouvoir une scène en plein essor. La Chine ne disposait pas alors d’institutions à la mesure du retentissement que connaissait le travail des artistes chinois dans le paysage international. Le regard du couple se tourne donc vers le quartier 798. Les amateurs savent depuis les années 2000 que de nombreux ateliers d’artistes occupent cette ancienne usine d’armement bâtie à la fin des années 50 avec le concours de la RDA. Déjà, des galeries ont senti l’intérêt de s’y installer, à l’image des Italiens de Continua ou bien de Long March Space, fondée par Lu Jie, qui y mène un vrai travail de fond. C’est ainsi qu’en 2007, l’UCCA ouvre ses portes dans un grand retentissement médiatique, écartant au passage les risques de disparition des petits lieux d’art que laissait entrevoir la spéculation immobilière montante.
L’art comme prétexte
Les ateliers cèdent peu à peu la place à des galeries, mais aussi à des cafés, des restaurants ainsi qu’à des boutiques en tout genre, attirant le week-end nombre de personnes pour qui l’art n’est finalement qu’un prétexte. C’est vrai qu’il est agréable de sillonner à pied ce périmètre encore très arboré, dénué de circulation et où réaliser des selfies à loisir devant des œuvres rigolotes. Pour autant, à l’image de Pace Beijing, les bonnes galeries tiennent le cap, en raison notamment des vastes espaces dont elles disposent, et même si elles tentent toutes de freiner l’afflux des badauds en demandant désormais un prix d’entrée modique (entre 2 et 10 RMB, soit environ 2 €).
Et puis, à quelques minutes de là, un autre quartier des arts a pris forme dans le « village » de Caochangdi grâce à l’installation du Three Shadows Photography Art Centre et de la galerie Urs Meile. Outre une programmation de grande qualité, ces deux structures ont la particularité d’occuper des bâtiments conçus par Ai Weiwei. L’artiste multifacettes s’est en effet servi de la brique traditionnelle, autrefois utilisée dans les hutongs (ensemble de passages étroits et de ruelles), pour ériger cette fois-ci des architectures aux lignes très contemporaines. Fort du succès rencontré, il a réitéré l’opération en dessinant de nouveaux ensembles destinés à accueillir des galeries, des ateliers et des logements pour les artistes. Ainsi, au-delà du phénomène de foule, le périmètre reste tout de même une place de choix pour qui veut s’offrir un panorama de l’art contemporain dans la ville.
L’espace mutant
S’ajoute à ces deux quartiers une « succursale » pékinoise du Minsheng Art Museum de Shanghai, qui vient d’ouvrir en bordure du 798 Art District quelque 35 000 m2 d’espaces d’exposition, dans une ancienne usine convertie par Studio Pei-Zhu. Le sponsor (la China Minsheng Banking Corporation) a vu grand et, d’ailleurs, le musée semblait encore un peu vide lors de notre visite. Mais les choses vont vite à Pékin, comme en témoignent aussi ces impressionnants chantiers à ciel ouvert qui ponctuent le district, mais devraient rapidement laisser la place à des résidences de standing. Et la symbolique que revêt le 798 pour le quartier de Dashanzi, renforcer le marché artistique chinois, est désormais trop importante pour que l’art ne cède son terrain à d’autres intérêts.