Peinture en lettres : l’art discret qui redessine nos villes

Dans un océan de visuels copiés-collés, la peinture en lettres s’impose comme un contre-pied radical. Elle revendique le tracé imparfait d’une main humaine, la justesse d’un geste pensé et remet du sens dans la rue. Décryptage d'un art qui renaît.

On les croyait disparus. Évaporés sous les couches de vinyle bon marché et les typos génériques. Et puis, avec cette magie du geste, cette rigueur artisanale, les peintres en lettres ont refait surface. Lentement, mais sûrement, rendant hommage à un héritage longtemps oublié.


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Une histoire en lettres capitales

Il fut un temps où chaque commerce portait fièrement son nom peint à la main. Pas de copier-coller, pas de stickers standardisés : chaque devanture racontait sa propre histoire. Au début du XXᵉ siècle, la lettre est partout, dessinée avec soin sur les façades, inscrite au coin des rues. Avant la numérotation des maisons, instaurée en 1805, les enseignes servaient repères. « Où il n’y a pas d’église, je regarde les enseignes. Pour qui sait visiter une ville, les enseignes ont un grand sens », écrivait Victor Hugo en 1842, dans Le Rhin.

Avec l’Art Nouveau puis l’Art déco, la devanture devient terrain d’expression. Les architectes et décorateurs soignent chaque détail : ferronnerie, vitrerie, lettrage et l’enseigne devient une prise de position. Puis vinrent l’adhésif et l’impression numérique. Le geste s’est perdu. Et avec lui, une part de l’identité visuelle des villes.

Mais depuis une dizaine d’années, un vent nouveau ravive les vitrines. Et dans son sillage, une poignée d’artisans – une quinzaine il y a dix ans, une centaine aujourd’hui – qui redonnent du caractère à la lettre. Pour la plupart autodidactes, toujours passionnés, on les croise souvent à l’aube, quand la lumière rase encore les façades, mahl stick en main, concentrés sur un F un B, une esperluette stylisée. Tout autour, le monde file. Eux prennent le temps du geste. Celui, rigoureux, de tracer à main levée et sans filet, une lettre ciselée, dorée, tramée.

Devant la vitrine sur laquelle Virginie Lorillou pose son poncif, un passant ralentit, lit, relit. La lettre attire, hypnotise. C’est une grammaire silencieuse, mais redoutable. « Quand la lettre est tracée à la main, elle dit tout de suite qu’il y a quelqu’un derrière, glisse-t-elle, avant d’ajouter: Elle installe un univers avant même que l’on ne pousse la porte du batiment. »

Un art discret mais décisif

Les peintres en lettres ne redessinent pas le monde. Ils l’affinent. « C’est un art invisible. Tout le monde y est sensible, sans vraiment le savoir, sans s’en rendre compte. Une devanture, c’est comme un premier rendez-vous : premier regard, premier lien. Si le courant passe, on s’en souvient », raconte Victor Bert. Ancien tailleur de pierre des Monuments Historiques, il découvre la lettre en s’essayant à la gravure. C’est le déclic. Il regarde en boucle Sign Painters, la bible du métiee, et se lance dans la calligraphie, la dorure, la peinture en lettres, la gravure sur bois, sur verre…

Depuis, il a ouvert son atelier à Bastille, à Paris, et a signé une tripotée de vitrines à admirer en levant le nez dans les rues de la capitale (Datil, Causeries, Jip…). Et même – rien que ça – le caveau de Joséphine Baker au Panthéon. Véritable couteau-suisse, il a déjà apposé pinceaux, ciseaux et massettes sur une péniche, un train, un tramway et rêve désormais d’un vieux voilier de la Marine nationale. « Ou pourquoi pas un avion », sourit-il en sortant ses outils avec la minutie d’un horloger.

Dans le Finistère, Morgane Come, graphiste de formation, aime aussi varier les supports. « En Bretagne, les enduits sont partout. Redonner vie à ce patrimoine local, c’est prendre soin d’un héritage fragile. » Son atelier sent le bois, l’encre, la concentration et les étagères ploient sous le poids d’une collection soigneusement curatée de livres, principalement anglo-saxons. Car chez elle, le travail commence dans les archives. « C’est un métier encore peu documenté en France », confie celle qui prépare d’ailleurs un ouvrage sur le sujet. Amoureuse des arts décoratifs, la peintre en lettre s’entoure aussi de menuisiers, de ferronniers et d’artisans du bâti pour faire revivre ces savoir-faire traditionnels aussi anciens qu’essentiels.


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