Nicolas Roche, pourquoi avoir choisi Joana Vasconcelos ?
Nicolas Roche : Cela a commencé par une rencontre. Joana cherchait une lampe. Elle est rentrée dans le magasin Roche Bobois de Lisbonne. Elle est tombée sur le Mah Jong qui est né la même année qu’elle, en 1971. Cela l’a beaucoup interpelé. Elle a rencontré Sylvie, la directrice du magasin et tout est remonté jusqu’à nous.
Joana Vasconcelos : C’était un samedi matin. Je cherchais une lampe pour dessiner. Je suis passée chez Roche Bobois. J’ai non seulement acheté une lampe mais vu le Mah Jong réinterprété par Missoni. Sylvie a suggéré que je puisse faire quelque chose avec Roche Bobois. Et ils m’ont ensuite appelé. Ce n’était pas évident mais j’ai dit oui. Vous savez chez moi, il n’y avait pas de canapés classiques. Il y avait une sorte de Mah Jong, des poufs, notamment marocains avec des tapis partout. J’ai été élevée dans cet esprit. J’ai un Mah Jong d’extérieur chez moi et mes parents adorent. En fait, ce qui m’intéresse, c’est ce rapport entre le corps et l’objet, ainsi que que le jeu possible qu’il implique.
Dans quel état d’esprit, vous l’artiste, avez-vous fait ce projet de design ?
J.V. : En tant que sculpteuse, je n’ai jamais pensé au confort. Ce n’est pas ce que je travaille d’habitude. L’idée était de laisser chacun choisir sa façon de s’asseoir ou de s’allonger. Le confort au fond est une idée personnelle… Le design en impose une certaine vision mais moi je voulais faire les choses différemment. Que l’on puisse faire reposer ses pieds sur le dossier du sofa, une fois posé à terre, par exemple. Ce sofa existe en plusieurs dimensions, avec un dossier plus ou moins haut. Il est parfaitement modulaire…
Avez-vous pu concevoir ce canapé de la même façon qu’une sculpture, instinctivement, sans penser en designer ?
Je ne suis pas du tout designer ! Néanmoins, les domaines de l’art et de la création sont proches. L’art, l’architecture et le design sont trois univers qui peuvent se croiser.
Comment s’est fait la mise au point du dossier parfaitement amovible, non vissé et pourtant stable ?
N. R. : Cela fait partie du service que doit donner un canapé : il doit être confortable et, quand quelqu’un s’assied et s’adosse, le dossier doit résister.
J. V. : Quand j’ai eu cette idée d’amovibilité totale, je ne savais pas si c’était techniquement possible. Mais le développement de tous les canapés qu’ils ont fait depuis soixante ans permet ça. Quand vous êtes assis dans un Egg de Jacobsen, vous ne pouvez plus bouger. Avec Bombon, on s’assoit comme on veut…
L’expertise technique de Roche Bobois a-t-elle à un moment été une contrainte pour l’artiste que vous êtes ?
J.V. En dessinant, je ne savais pas si mon projet serait réalisable. En ce qui me concerne, c’est plutôt l’expérience du corps, la façon dont il peut s’exprimer, confortablement assis, qui m’intéressait. Il n’y avait pas de diktat prescrivant un nombre limité de positions. Je laisse les gens jouer pour ainsi dire…
Que tout le monde puisse se faire l’assise adéquate, c’est un peu utopique. Saviez-vous dès le début qu’autant de configurations seraient possibles ?
J. V. : Grâce à l’expertise de Roche Bobois, ces différentes variantes de la composition du siège ont pu être anticipées. J’avais le concept mais quand on passe à la production, il y a toujours des contraintes techniques. Cette collaboration m’a appris énormément de choses.
N.R. : C’est une autre façon d’aborder le canapé, sans rester défini par une forme particulière, rectangulaire par exemple. Ici, la richesse des formes donne une profusion de possibilités qu’on pressentait et qu’on a fait !
On a parfois l’impression que plus il y a de contraintes, plus les designers sont contents…
J.V. : Moi, c’est l’inverse ! (Rires.) Je suis quelqu’un qui travaille sans contraintes. C’est la grande différence entre le design et l’art. Je n’ai pas de programme, je fais ce que je veux. Et cela me permet de réaliser des choses incroyables, énormes. Quand je dessine une pièce, j’ai toute une équipe technique qui m’aide à la réaliser. Si quelqu’un s’avise de me dire « Non, tu ne peux pas faire ça. », Hop ! il disparaît !
N.R. : Joana a une démarche différente de celle d’un designer, et elle parvient à un autre résultat.
Comment avez-vous travaillé la couleur sur cette collection ?
J.V. : J’ai fait des choix toujours en dégradés, avec la base plus claire. Parce que si on fait l’inverse, cela ancre le canapé trop fort dans le sol. C’est plus lourd. Les pieds d’un meuble sont un peu comme la base d’une sculpture. Un artiste comme Jean Arp s’est éloigné de cette base, de ce socle. Avec lui, on a placé les sculptures au sol. Avec Bombom, je voulais assumer que ces canapés sont des sculptures posées au sol. On peut aussi les assembler dans un grand espace comme un archipel. On trouve déjà cela dans le Mah Jong de Hans Höpfer…