Paolo Roversi : « On ne prend pas une photo, on la donne »

Les portraits du photographe de mode Paolo Roversi habitent aussi bien l’accrochage « Silenzio », à la Villa Noailles, que « Studio Luce », sa première rétrospective dans sa ville natale de Ravenne, en Italie. Une exposition parisienne au palais Galliera est également prévue en 2021. Dans l’entretien qu’il nous a accordé, la poésie de ses mots fait indiscutablement écho à celle de ses images.

Paolo Roversi, quel effet cela vous fait-il de plonger dans vos archives ?
C’est toujours émouvant car les souvenirs resurgissent. On fait des découvertes intéressantes, mais on a aussi des déceptions. Le temps change notre regard…

Y a-t-il un fil conducteur dans votre travail ?
Mon travail est un parcours libre qui s’est construit jour après jour, au gré des rencontres. Et ce d’autant plus que la mode change tous les mois, toutes les semaines. L’un des titres auquel j’avais pensé pour mon exposition à Ravenne était d’ailleurs, justement, un vers d’un poème d’Emily Dickinson, From Blank to Blank : « A threadless way », c’est-à-dire « un chemin sans fil ». Je pense que le seul fil conducteur, c’est moi. (Qu’on ne s’y trompe pas : la formule traduit ici de la modestie et non de l’ego, NDLR).

Vos photos, toutes époques ou sujets confondus, sont instantanément reconnaissables…
C’est une question d’écriture. Comme un peintre que l’on reconnaît à son coup de pinceau ou un écrivain à ses mots et à la façon de construire ses phrases.

« Il n’y a pas de recette »

Le fait d’être autodidacte permet-il une plus grande singularité d’écriture ?
Je n’ai jamais décidé que je voulais devenir photographe, et encore moins photographe de mode. Cela a été le fruit des rencontres et des opportunités. J’ai de la chance car je fais un métier magnifique. Les écoles de photographie, avec leurs recettes, ont souvent tendance à brider la créativité et à niveler les élèves. Or, tout comme en peinture, chacun doit trouver seul sa façon de faire, il n’y a pas de recette.

Mais il vous arrive aussi d’enseigner…
Oui, car j’aime beaucoup transmettre ma passion. Mais justement, j’essaie de ne pas tomber dans cette erreur. Au contraire, je stimule les élèves pour qu’ils se libèrent de tous ces schémas et trouvent leur propre voie.

Cela vous agace-t-il lorsque l’on vous qualifie de photographe de mode ?
Non. (Rires.) Ça ne m’agace pas, mais c’est restrictif et je n’aime pas tellement les étiquettes. Je travaille beaucoup pour la mode, c’est une réalité, mais je trouve qu’on est photographe tout court.

« On ne prend pas une photo, on la donne »

Paolo Roversi, vous dites souvent que tout est portrait. Mais comment fait-on le portrait d’un objet ? Je pense par exemple aux photos que vous venez de réaliser pour les 50 ans de l’éditeur de mobilier contemporain Poliform ?
Un portrait signifie isoler le sujet de ce qui l’entoure – qu’il s’agisse du portrait d’une femme, d’un homme, d’un objet ou d’un paysage – et de le faire devenir le centre du monde, afin qu’il exprime toute sa force, son énergie et sa personnalité. C’est une rencontre, un dialogue et un reflet mutuel. Je n’aime pas photographier la surface des choses. J’aime aller chercher des émotions plus profondes. Pour moi, faire une photo consiste à réveiller quelque chose qui est à l’intérieur de soi – un rêve, un souvenir ou une obsession – et le sortir à la lumière. C’est pour cela que je dis que l’on ne prend pas une photo, mais qu’on la donne.

« Le studio est un état d’esprit »

Cela suppose-t-il d’être en studio ?
C’est plus facile en studio, mais le studio est partout. Cela peut être au coin de la rue. Le studio est un état d’esprit, une façon de se poser devant son sujet, de le regarder et de le photographier.

Vous venez de présider le jury photo du 35e Festival d’Hyères et de décerner la dotation Filippo Roversi du prix Picto. Quel regard portez-vous sur la nouvelle génération de photographes ?
Le langage est en complète évolution. Aujourd’hui, tout est très différent, surtout avec les nouveaux médias comme Instagram, qui ont complètement modifié la façon pour les jeunes de se servir de la photo, de la regarder, de l’interpréter. A Hyères comme au prix Picto, nous avons primé des photographes non académiques, qui prennent des risques et construisent un travail très personnel.

> À voir, jusqu’en mai 2021 : « Silenzio ». À la Villa Noailles, à Hyères (Var).

> « Studio Luce ». Au Museo d’Arte (MAR), à Ravenne (Italie). Visite virtuelle sur Mar.ra.it

Natalia, Paris 2003 (pour Egoïste).
Natalia, Paris 2003 (pour Egoïste). Courtesy Pace Gallery
Monica, Paris 2000 (pour Vogue Italia).
Monica, Paris 2000 (pour Vogue Italia). Courtesy Pace Gallery
Kate, New York 1993 (pour Harper’s Bazaar).
Kate, New York 1993 (pour Harper’s Bazaar). Courtesy Pace Gallery
Noémie, Paris 2016 (pour le livre Dior Images. Paolo Roversi).
Noémie, Paris 2016 (pour le livre Dior Images. Paolo Roversi). Courtesy Pace Gallery
Molly, Paris 2015 (pour Vogue Italia).
Molly, Paris 2015 (pour Vogue Italia). Courtesy Pace Gallery
Self Portrait, Paris 2011. De son travail, Paolo Roversi dit : « J’ai une approche très mystique de la photographie. Je pense qu’il y a une autre lumière, qui peut éclairer l’invisible. »
Self Portrait, Paris 2011. De son travail, Paolo Roversi dit : « J’ai une approche très mystique de la photographie. Je pense qu’il y a une autre lumière, qui peut éclairer l’invisible. » Courtesy Pace Gallery