Loin du centre-ville de Copenhague, le pied s’enfonce dans une fine couche de neige. Les convives du Noma 2.0 tâchent de ne pas glisser sur le chemin en planches de bois ménagé par le studio BIG (Bjarke Ingels). Ce dernier a transformé un entrepôt de béton tagué en village gourmet. A l’entrée, le roi René est là. L’accueil est tout sauf mondain. René Redzepi est une boule d’énergie retenue, le cou tendu, aux aguets. Il semble vérifier en permanence que tout va bien. Ne comptez pas sur lui, ce soir-là, pour le kit sourire et poignée de main…
La progression dans les lieux, aménagés par l’architecte danois David Thulstrup est spectaculaire. Dans ce village de sept pièces, on longe les cuisines où s’affairent une soixantaine de cuisiniers pour rejoindre la salle. La longue table dressée est exemplaire, sans chichis. Tout ici se fait élégamment discret : cuillères en bois, assiettes et verres. Le mobilier spécialement dessiné par l’architecte David Thulstrup a été réalisé par Brdr. Krüger. Tables et chaises se font d’une sobriété à toute épreuve. Ne serait-ce que dans le soin apporté au polissage du bois, la manufacture danoise a donné à ces nouveaux sièges une étonnante douceur tactile.
La cuisine de René Redzepi ne s’est pas élevée à son niveau de notoriété en faisant consensus. Le chef ayant prévu que le menu unique de l’hiver serait dédié aux produits de la mer du Nord, il vous est franchement recommandé d’attendre le printemps si vous n’aimez ni les fruits de mer ni le poisson ! Aux convives allergiques aux premiers, on sert un bouillon de poisson ultra léger, une mini compression mêlant délicieuses carottes et baies et… un œil de poisson !
Malgré le thème des bons produits des mers, l’influence de la gastronomie japonaise est indéniable. Qu’il s’agisse des textures ou de l’usage parcimonieux de savoureuses petites sauces. Le dîner prend la forme d’un vrai défilé. A chaque plat, le menu fait assaut d’associations inédites : céleri rave et truffe, fruits et brocolis, truite et œufs. Quand la sauce est acide, elle se justifie comme une friction par le goût qu’elle relève.
Le plat suivant arrive sur une feuille d’oseille ou comme une chips en papier de riz posée sur une serviette. Le rétif aux fruits de mer est consolé avec du caviar et des œufs de lump, les divins grains servis en motifs d’étoile puis de la citrouille dans le cresson avec du fromage frais. A l’heure des desserts, le gâteau de plancton à partager s’ajoute à la crème glacée poire et varech. On se lève de table, léger même après le mix vins et bière. Les lampes au-dessus de la très longue table aux bords irréguliers donnent aux visages l’air d’être éclairés à la chandelle, comme dans le film Barry Lyndon.
Effectivement, les plus grands bonheurs ont leur prix, soit 2 250 couronnes danoises par personne, soit 300 € hors boissons. Néanmoins, chaque soir du mercredi au samedi, quatre étudiants peuvent réserver pour un tarif réduit à 1 000 couronnes. S’ensuit la visite des lieux entre work in progress et atelier culinaire. Pour qui sont ces agrès au-dessus de nos têtes ? Pour qui veut, en arrivant le matin ! Des crabes géants comme des araignées vous lorgnent depuis leurs aquariums. On croise au passage Ali Sonko, « l’esprit et le cœur de Noma » selon René Redzepi. Il est le troisième nouvel associé de Noma 2.0, acteur de l’aventure depuis 2003 où il s’occupait… de la plonge. Gambien arrivé au Danemark il y a plus de trente ans, sa présence est devenue médiatiquement emblématique dans un pays rétif à l’installation d’étrangers. Redzepi, Danois de père albanais ayant connu des années de plonge, en parle régulièrement. Le meilleur restaurant du monde ne serait pas une bulle fermée et sa table sélect, plus ouverte que prévu. Noma 2.0 est à sa façon un miroir du monde. Succès, entreprise, gastronomie, media, personnalité, environnement et société : tous les ingrédients sont là.
Noma. Refshalevej 96, 1432 Copenhagen.