Elle n’a jamais construit de gratte-ciel ni d’hôtel de luxe et pourtant, Neri Oxman est considérée comme une pionnière de l’architecture contemporaine. Si elle révolutionne la discipline, c’est parce qu’elle l’aborde comme aucun de ses confrères. La faute sans doute à sa formation. Née en 1976 à Haïfa dans une famille d’architectes et d’intellectuels, elle a une enfance qu’elle qualifie de « funky, pleine d’énergie créative ». Elle décide ensuite de s’inscrire à la faculté de médecine, pour ne pas suivre la même voie que ses parents. Las, après deux ans à l’Université hébraïque de Jérusalem, elle choisit finalement de se former… à l’architecture dans l’école où enseigne son père puis à Londres et au MIT, où elle décroche son PhD en 2010 avant de fonder le groupe de recherche « Mediated Matter » sur les nouveaux matériaux.
Dès lors, Neri Oxman s’emploie à réinventer la façon de concevoir objets et bâtiments en respectant la vie. Elle se lance dans des recherches sur le biomimétisme (l’imitation des formes de la Nature) puis le design bio-informé, où objets et bâtiments sont « augmentés » par des matériaux d’origine naturelle afin qu’ils puissent s’adapter et interagir avec leur environnement. Comme si un vase pouvait fertiliser les fleurs qui y sont placées et les aider à se biodégrader quand elles dépérissent. Cette fan de Beethoven définit son travail au sein du laboratoire du MIT comme « l’écologie du matériel ». « Les technologies ne doivent pas – et ne peuvent pas – servir uniquement nos aspirations formelles. Il faut créer un langage commun entre les designers et architectes et les spécialistes de la chimie moléculaire », plaide-t-elle.
Pour Neri Oxman, les bâtiments ne sont pas construits, ils poussent… Sa première réalisation d’importance dans cette voie nouvelle est sans conteste le Silk Pavilion (2013), bâtiment en forme de dôme construit par 6 500 vers à soie guidés par une structure en nylon et transformés en gigantesque imprimante 3D vivante.
L’Ocean Pavilion (2015) propose, lui, une méthode de fabrication à base d’eau et de chitosan (dérivé de chitine, polymère abondant à l’état naturel, notamment dans les corps des crabes et autres crustacés) pour former des parties plus ou moins dures. Pour comprendre comment on pourrait l’utiliser en architecture, Neri Oxman a récupéré des coquilles d’un restaurant de fruits de mer de Boston et a conçu avec ses équipes une imprimante 3D utilisant ce matériau. La même année, Neri Oxman montre également Wanderers, une série de vêtements imprimés 3D dans lesquels vivent des microbes qui protègent leur usager dans un environnement hostile bactériologiquement. Avec la G3DP, elle lance ensuite ses équipes dans la course à l’impression 3D de verre transparent pour fabriquer des façades et autres éléments architecturaux.
Comme Zaha Hadid avant elle, Neri Oxman est l’une des rares figures féminines dans un monde ultra-masculin. Comme elle, sa reconnaissance va mettre du temps à arriver. En 2015, la vidéo de sa conférence TED, où ses idées révolutionnaires sont servies par son indéniable charisme, agit comme un déclencheur.
Pourtant, les champs d’application de ses recherches sont larges dans un monde où économie de moyens et résistance au réchauffement climatique forment deux contraintes de plus en plus prégnantes. Partisane d’une architecture bio-dégradable, où la forme d’un bâtiment doit être dictée par son contexte, sa pratique est imprégnée de biologie, mais aussi d’informatique. « Tout ce qu’elle produit a une base et une rigueur scientifiques, mais aussi un aspect séduisant pour le grand public car son travail est tout simplement beau… », clame Paola Antonelli, la conservatrice du MoMA. D’ailleurs, les premiers bâtiments fonctionnels tirés de ses recherches sont en train de sortir de terre. Après avoir eu un bébé au printemps 2019, Neri Oxman a fait une pause dans sa carrière effrénée, mais elle est revenue sur le devant de la scène architecturale ce printemps avec l’exposition « Material Ecology » au MoMA, rétrospective d’une carrière déjà longue de vingt ans. Vu le contexte sanitaire, le musée new-yorkais a créé une visite en ligne pour découvrir comment elle jette des ponts entre les disciplines mais aussi entre les espèces animales et humaines.
L’occasion de découvrir une deuxième version du Silk Pavilion haut de 8 mètres et dont le voile transparent a été tissé par 17 000 vers à soie guidés par la lumière et la chaleur. Ou Aguahoja, une série d’objets et de micro-architectures qui utilisent des matériaux naturels comme la pectine ou la cellulose comme alternatives au plastique. Mais Neri Oxman y montre aussi les dernières pistes qu’elle est en train d’explorer, comme la mélanine, substance à la base de la coloration de la peau chez des centaines d’espèces et qui permet de réguler les rayons UV absorbés. Dans un futur proche, elle espère que les façades des bâtiments pourront se protéger des rayons du soleil grâce à elle. Autant de pistes qui montrent une vision positive de l’architecture et du design, enfin réconciliés avec la planète.
> A lire : Nero Oxman: Material Ecology de Paola Antonelli et Anna Burckhardt, MoMA, 184 pages, 56,95 € (en anglais)
> A voir : Exposition « Material Ecology » à découvrit en ligne sur le site du MoMA.
> A regarder : « Neri Oxman, architecture bioclimatique », épisode 2 de la deuxième saison de la série Abstract (Netflix).