C’est dans l’étourdissante cacophonie architecturale de Monaco que se situe l’appartement, apparemment sans grande originalité, que les architectes d’intérieur Emil Humbert et Christophe Poyet ont dû repenser. Là, dans le quartier de Larvotto, où les maisons aux façades florentines côtoient les immeubles contemporains, le bâtiment pur jus, avec sa façade en mosaïques des années 70, présente les caractéristiques des immeubles de prestige : notamment un lobby démesuré et luxueux au rez-de-chaussée et de grands balcons à chaque étage.
Excepté les terrasses, dont les sols ont été refaits, l’appartement aux volumes généreux et à la vue exceptionnelle n’affichait pas de charme particulier en matière d’architecture intérieure. Pour retrouver une fraîcheur d’aujourd’hui sans sombrer dans un minimalisme radical, le lieu a été entièrement réaménagé. Il se présente désormais comme un appartement classique et familial baigné par la lumière et décoré d’œuvres d’art et de mobilier contemporains.
Aujourd’hui, les ascenseurs privés conduisent au premier lobby, en staff et terrazzo rouge de style Art déco qui se reflètent dans un jeu de miroirs. « Nous avons agrandi l’espace en réunissant deux appartements, explique Emil Humbert, et avons tenté de renouer avec l’époque glorieuse qui sévissait des années 50 à 70 sur la Riviera, en Italie, à Palm Springs et à Monaco : une vision fantasmée et un peu nostalgique de la Côte d’Azur. » Connus pour les intérieurs épurés et grandioses qu’ils créent à partir de lieux humbles, les deux architectes ont de nouveau travaillé sur la dualité, sur le contraste entre un mobilier aux lignes dépouillées inspirées par le courant moderniste et des meubles plus récents, aux lignes rondes et aux couleurs flamboyantes. Pour devenir un écrin chic et neutre, la tonalité générale abonde en revanche dans une apaisante monochromie : sols en marbre ou recouverts de tapis, peinture blanche pour les pièces de réception, couleurs vives pour les parties privées agrémentées de papiers peints graphiques aux motifs végétaux.
La décoration repose, elle, sur un mélange de mobilier français des années 50 au design soigné (des galeries Downtown, Kreo et de la Galerie italienne) et de mobilier vintage italien : appliques Sarfatti, fauteuils Pierre Jeanneret, table de Richard Schultz (Knoll), vases Yantra d’Ettore Sottsass, photos de Slim Aarons, tableaux de Pierre Le-Tan, tapis Stepevi, miroir de Gio Ponti, lampe Arteluce… « Notre démarche consiste à réactualiser des lieux en leur redonnant une âme, poursuit Emil Humbert, travailler les détails sophistiqués, souligner les mariages anachroniques, les lignes pures et sensuelles, la sobriété et l’extravagance, l’Art déco et le modernisme. Ce qui nous intéresse, c’est de réaliser des espaces contemporains et habités, un peu théâtraux aussi, des décors de vie où priment la belle ouvrage, le sur-mesure, le savoir-faire artisanal français. On a souvent catalogué notre style comme sobre et hollywoodien… C’est une bonne vision des choses. »
Diplômés respectivement de l’École nationale d’architecture de Paris-Belleville et de l’Académie Charpentier en architecture d’intérieur, Emil Humbert et Christophe Poyet ont fondé leur agence en 2008 et partagent leur existence entre Paris et Monaco. Parmi leurs dernières réalisations figurent le Wine Palace, au cœur du Monaco Yacht Club (signé Norman Foster), le Beefbar, dont le concept s’est exporté cette année à Hong Kong, le restaurant gastronomique chinois Song Qi, à Monaco, inspiré par l’âge d’or du Shanghai des années 30, ou encore 55 Croisette, à Paris, une boutique de prêt-à-porter de luxe où se mêlent modernisme et Art déco. Ils travaillent à la conception artistique d’un hôtel de 180 chambres à Paris, à celle de nombreux restaurants à l’étranger et d’un projet résidentiel de grand luxe à Doha (Qatar).