Ce printemps, cramponnez-vous, Bernhard Willhelm nous a taillé un costume vitaminé ! Notre créateur allemand préféré invente à sa sauce une saison tropicale, agrémentée d’un zeste d’Afrique. Avec lui, on part à la plage enveloppés de généreux tissus sur lesquels s’ébattent des fleurs larges comme des soleils, des lagons infestés de requins, des pointillés imitant la peau granuleuse du squale. Pas facile-facile à porter, la mitre papale, accessoire militant sur lequel apparaissent de sulfureux messages. Des artistes tels que Stefan Maier, collaborateur régulier de Bernhard Willhelm, et Carsten Fock, qui a apposé fleurs et patchs politiquement ironiques, sont invités à réaliser des graphismes. Ne cherchez pas dans ces créations un genre déterminé. C’est une garde-robe androgyne, où le « prête-moi ta tunique à franges et ton T-shirt siglé “Trumptweetie” » pourra être prononcé par l’un ou par… l’une.
Né à Ulm, en Allemagne, Bernhard Willhelm, 46 ans, a vécu en Belgique, puis en France, à Paris. En 2013, le créateur s’est exilé en Californie avec son équipe. D’où, peut-être, cette envolée tropicale cette saison… On le retrouve à Rosazza, dans le Piémont, ravissant village où il occupe une maison jaune, tandis que son studio a emménagé à Biella, ville réputée pour sa laine. Mais cette bougeotte n’est pas guérie puisque, revenu depuis peu à Paris, il imagine que le vent l’emportera bientôt au… Mexique. Il n’est pas inutile de rappeler que sa marque fête ses 20 ans. Il a fait ses classes à la célèbre Académie royale des beaux-arts d’Anvers, période bénie où s’y sont aussi croisés Dries Van Noten et Dirk Bikkembergs. À l’époque, Bernhard Willhelm assiste souvent ces trublions, comme Alexander McQueen : « Walter Van Beirendonck est aujourd’hui le directeur de l’Académie, mais en 1996, il était mon prof. Depuis ces années-là, l’institution et le musée de la Mode (MoMu) se sont connectés. Je pense d’ailleurs que je vais céder des archives au musée. » On adorerait y retrouver ses superbes costumes de scène réalisés pour Björk, pour la sortie de son album Volta, ou bien ceux de la pièce de théâtre tirée du film de Rainer Werner Fassbinder Les Larmes amères de Petra von Kant.
Le maître-mot de la vie créative et personnelle de Bernhard Willhelm est « indépendance »… et ce depuis sa première apparition sur un podium lors d’un défilé en 1999, à Paris, après avoir lancé sa marque. « J’ai toujours créé sans soutien particulier, même en France. Les investisseurs se font d’autant plus rares que ce secteur perd de l’argent. De fait, les profits des groupes de luxe viennent des parfums ou de la maroquinerie. Les stylistes indépendants doivent financer leurs collections six mois avant de les vendre… un an plus tard. Cet univers s’est terriblement accéléré (d’où la production uniforme et les copies), alors que les créateurs ont besoin de temps pour travailler et valoriser leur marque. Cela engendre un stress énorme. J’ai sans cesse dû m’adapter à ces évolutions, y compris celles du consommateur. Il nous faut nous conformer à des cultures, à des climats et à des goûts selon les pays, et même à des licences (comme avec les lunettes Mykita ou les chaussures Camper). J’ai fait des erreurs de jeunesse, j’ai expérimenté, mais j’ai la chance d’être toujours présent, soutenu par ma partenaire des débuts, Jutta Kraus. Toutefois, pour éviter de fermer mon studio, j’ai dû faire des choix. »
À l’ancienne, Bernhard commence par confectionner ses modèles dans une toile, afin d’apprécier si le vêtement vit et met en valeur celui qui le porte. « Dernièrement, comme directeur artistique de Vogue, j’ai approché Nicole Kidman, une magnifique personnalité, pour mes créations. Sur ce projet, j’ai œuvré aussi avec le photographe allemand Juergen Teller, dont la vision a été un vrai bonheur durant nos échanges. » Lorsqu’on évoque la rareté des créateurs allemands sur la scène mode, il nous rétorque : « Il existe de grandes marques comme Hugo Boss, Puma ou Adidas, mais la vraie question est : les Allemands sont-ils intéressés par la mode ? Ils dépensent leur argent en maisons, en voyages et en voitures. C’est seulement très récemment que Berlin songe à se doter d’une Fashion Week alors que Donna Karan et Calvin Klein l’ont lancée à New York en 1980 ! En revanche, Berlin a toujours attiré les créateurs, que ce soit David Bowie ou Hedi Slimane, car la ville a conservé des espaces libres. Le fait qu’elle soit devenue la capitale (à la place de Bonn) a engendré une grande énergie artistique. Il y émerge certainement de jeunes créateurs de mode… mais qui s’intéresse à eux aujourd’hui ? ».