Etsy, La Redoute, Nature & Découvertes ou encore Amazon, nombreuses sont les marques et les plateformes à proposer du mobilier Montessori. L’éditeur espagnol Kave Home s’est, lui aussi, engouffré dans la brèche en 2020, en lançant sa gamme Kave Kids librement inspirée de la célèbre pédagogie. Mais que doit-on en penser ? Décryptage d’une philosophie libre de droit devenue un business juteux.
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Sur son site, Kave Home référence une sélection de pièces intitulée «meubles Montessori». Ils représentent « un quart des ventes de la catégorie « kids » en France » assurent les designers de la marque ibérique. La collection « Maralis », avec son lit tipi et sa toile, figure parmi les pièces phares. Mais Kave Home se défend de surfer sur « l’air du temps : ses principales caractéristiques correspondent aussi parfaitement à notre marque. Nous pouvons clairement nous retrouver dans cette méthode d’éducation qui met l’accent sur le respect, la créativité et la curiosité, entre autres.»
Que prône, au juste, cette célèbre méthode d’éducation ? Au début du siècle dernier, Maria Montessori est « une pédagogue (italienne) au parcours très riche. Elle commence en psychologie, puis entreprend des études de biologie, mais elle est surtout connue pour son travail de pédagogue» explique Nelly Forestier, co-fondatrice de l’organisme de formation et centre de soutien à la parentalité « Les Petits Sages». « Elle a beaucoup observé les enfants et a créé des écoles, notamment une à Rome qui s’appelait la Casa dei bambini, là où elle a commencé à développer sa pédagogie en laissant les enfants évoluer par eux-mêmes et en les guidant. Elle insistait sur le fait que l’environnement devait être adapté à l’enfant pour favoriser son autonomie.»
Une pédagogie qui a suscité l’intérêt de la conférencière et vers laquelle elle « s’est tournée de manière assez naturelle » avec l’arrivée de son enfant. Après une formation à l’Institut Supérieur Maria Montessori, Nelly Forestier « s’est très vite rendue compte qu’il y avait beaucoup de professionnels de la petite enfance et de parents qui s’intéressaient à cette pédagogie, mais qu’ils se retrouvaient un peu perdus parce que c’est une pédagogie qui est victime de son succès et du marketing.»
Du marketing qui vante les mérites d’un univers assez onéreux. Ainsi, pour faire entrer son enfant en élémentaire à l’École Montessori de Paris, les parents doivent débourser 10 910 € par an de frais de scolarité. A Pantin (93), l’école Modérato qui se réclame de la pédagogie Montessori affiche des tarifs mensuels qui démarrent à 310 euros par mois en tarif solidaire, pour les enfants de 3 à 6 ans.
Une pédagogie libre de droits
L’un des aspects de cette discipline tourne autour du fameux mobilier Montessori. Dans l’enquête « Céline Alvarez, le business pédagogique » publiée par La Revue du Crieur, Laurence de Cock se penche sur l’ouvrage Les Lois naturelles de l’enfant. Un livre dans lequel Céline Alvarez fait état de « trois années d’accompagnement scolaire d’enfants de 3 à 5 ans, selon la méthode Montessori et agrémentée de pistes tirées de la psychologie cognitive et sociale, notamment des neuroscience » explique l’enquêtrice. « Je savais que l’une des particularités de cette méthode était l’usage d’objets onéreux (en bois, faits main : bouliers, cadres, globes, lettres rugueuses, etc.) – pouvant atteindre plusieurs milliers d’euros par classe. »
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Des prix qui interrogent, quand on sait que cette pédagogie est « libre de droit » explique Nelly Forestier. « Le nom de Maria Montessori n’est pas une marque déposée parce qu’elle aurait dit humblement, d’après la légende, que tout venait des enfants. » Elle ajoute « qu’il n’y a pas de certification Montessori pour les écoles. La seule formation qui existe, c’est celle d’assistant Montessori proposé par l’Institut Supérieur Maria Montessori ».
Quid du mobilier Montessori ? « En réalité, il n’y a pas de mobilier Montessori » affirme Nelly Forestier. « La première chose faite par Maria Montessori, c’est de regarder les enfants assis. Elle a constaté qu’ils n’avaient pas la possibilité de se concentrer parce que leurs pieds ne touchaient pas le sol, donc elle a commencé par raccourcir les pieds des chaises. À partir du moment où vous avez les pieds ancrés dans le sol, vous êtes plus aptes à vous concentrer. C’est pourquoi elle a proposé des tapis qui délimitent l’espace où l’enfant doit faire ses activités. Donc on va aussi trouver des tapis «labellisés» Montessori. Ce qu’elle préconisait, c’était juste un tapis et du mobilier à hauteur d’enfant. Elle a aussi descendu toutes les étagères, tout le matériel qui permettait de présenter les activités, les livres. Elle a fait en sorte qu’en termes d’esthétique cela soit plutôt simple, sans trop de propositions. Car plus les enfants sont face à des choix, plus c’est compliqué pour eux. C’est pourquoi certains meubles proposent très peu d’activités, pour aider l’enfant à choisir. »
Le tabouret, ancêtre de la tour d’observation
Et qu’en est-il de la tour d’observation, véritable symbole de la pédagogie Montessori ? Nelly Forestier, encore une fois nuance : « Elle préconisait que l’enfant soit à hauteur d’adulte. Sur certaines images on voit des enfants sur des tabourets. A notre époque, mettre un enfant sur un tabouret génère des peurs, donc de fil en aiguille est née cette tour d’observation, qui permet de mettre l’enfant en sécurité parce qu’il est entouré, tout en étant autonome, d’en monter et d’en descendre. Cette tour est très utilisée pour le plan de travail et elle est formidable ! Dans une situation où le parent doit cuisiner et ne sait pas quoi faire de son enfant, au lieu de le mettre devant un écran, il est possible de l’installer à côté de lui, vers le plan de travail où il va pouvoir éplucher des légumes, trier des épluchures, travailler le sensoriel et c’est la paix à la maison. Cette tour, Maria Montessori ne l’a jamais inventée, au même titre qu’elle n’a jamais inventé le lit Montessori. Ce qu’elle préconisait c’était l’autonomie. Que l’enfant se lève et aille se coucher quand il en a besoin. Ce n’est pas parce que l’on va utiliser un lit bas de type Montessori que l’on va plus respecter les besoins de l’enfant si, dans sa posture, l’adulte n’est pas bienveillant. C’est un peu cet équilibre entre bon sens et bienveillance qu’il faut adopter.»
Bon sens et bienveillance sont donc de mise pour les parents souhaitant appliquer la méthode en s’offrant du mobilier Montessori. Ainsi pour meubler une chambre, Nelly Forestier propose « de limiter au maximum le mobilier, d’installer uniquement ce dont l’enfant a besoin, un lit, un tapis pour commencer. Pour l’allaitement, aménager dans la chambre un endroit calme, si possible, avec une petite vue sur l’extérieur. Nous préconisons aussi une petite armoire à hauteur d’enfant, sans beaucoup de vêtements. Un meuble bas qui propose plusieurs activités à changer régulièrement. De la même façon pour son bac à livres, il est recommandé d’y ranger trois à quatre livres. Il faut faire en sorte qu’il ait le choix, sans trop le stimuler. Enfin, un miroir équipé d’une barre permettra à l’enfant de prendre conscience de son corps, via des petits jeux de grimaces de déplacements, et de s’y appuyer et pour apprendre à tenir sur ses jambes.»
Vient aussi le sujet épineux du salon. « C’est une question compliquée pour les parents, parce qu’ils ne veulent pas qu’il ressemble à une garderie. Même s’il n’y a pas beaucoup de place, il peut être intéressant de prévoir un petit espace avec un tapis (unis de préférence que l’enfant puisse rouler) et lui expliquer très tôt que c’est son espace dédié quand il souhaite faire une activité. De la même manière, pourquoi ne pas prévoir un meuble bas, avec quelques livres ou activités pour délimiter son espace à lui. Cela évite d’avoir des malles, dont le contenu, à la fin de la journée, envahit le salon. »
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