Cafés d’antan, merch d’aujourd’hui : la revanche stylée du PMU de quartier

Qu’ont en commun une casquette Lipp et un porte-clés Le Cornichon? Le goût du merchandising et l’envie de faire briller la gastronomie autrement. Avec le retour en grâce du PMU et des bars tabacs, c’est un pan de notre culture qui s’achète une seconde jeunesse.

Même sol carrelé et tables en Formica, même pichet jaune Berger vintage posé sur la table. Là, une affiche Picon ou une écharpe de supporteur du Racing Club de Lens, ici, un distributeur de cacahuètes et, au fond, un meuble de cuisine des années 1950 en guise de vaisselier. Non, ceci n’est pas une reconstitution du  Café des Sports ou de La Civette de votre village natal mais Le Céleste, bar du XIe arrondissement de Paris se revendiquant « néo-PMU ».


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Restauration de marque

Vestige d’une autre époque, le PMU de quartier – dont on prédisait presque la mort – recommence à faire parler de lui. C’est aussi le cas du Cornichon, où le duo de décoratrices Claves s’est attaché à moderniser ses codes, ou chez Hasard, le nouveau-né du groupe Tomorrow Food, un « bistrot de quartier co-construit avec la Française des jeux (FDJ) », à Paris également.

Chez le «néo-PMU» Holybelly (Xe ), le tee-shirt, créé par le label australien Those Jazz Cats pour les équipes en 2014, est aujourd’hui proposé à la vente au public.
Chez le «néo-PMU» Holybelly (Xe ), le tee-shirt, créé par le label australien Those Jazz Cats pour les équipes en 2014, est aujourd’hui proposé à la vente au public. DR

Le très établi guide du Fooding, qui prend le pouls (et le goût) des restaurants qui font l’époque, s’est intéressé au phénomène dès juillet 2023 avec un article intitulé « C’est quoi le délire avec les néo-PMU ? ». « Apparemment, le texte a tourné au sein de l’entreprise PMU (Pari mutuel urbain, NDLR), raconte Alexandre Coing, directeur général du média. Ils ont aimé et nous ont appelés pour savoir comment ils pouvaient toucher les 30-50 ans. Parmi nos recommandations, nous avons proposé un guide, avec notre expertise et notre savoir-faire. »

Ainsi est sorti en novembre dernier PMU, les 100 bars qui font la France (éditions Fooding) avec un slogan qui raconte un peu notre attachement à ces endroits : « On a tous quelque chose en nous de PMU. » En 2022, le photographe Guillaume Blot sortait Rades (Gallimard), un ouvrage « de portraits et de scènes de vie témoignant de la convivialité et de l’atmosphère chaleureuse régnant dans les bistrots français ».

Fermé depuis 2020, le «néo-PMU» montmartrois Au Rêve (XVIIIe ), véritable institution du quartier, a réouvert en 2023 sous la houlette créative de l’agence A.S.L.
Fermé depuis 2020, le «néo-PMU» montmartrois Au Rêve (XVIIIe ), véritable institution du quartier, a réouvert en 2023 sous la houlette créative de l’agence A.S.L. DR

Ce revival a aussi questionné le bureau de tendances Maison Cassely – spécialisé dans les modes de vie, les questions de consommation et de territoire – qui, d’abord interrogé par la Française des jeux, a rédigé une note sur le sujet : « Fatiguée des excès de la gentrification commerciale et culinaire, la population qui l’avait portée aux nues était en recherche d’adresses et d’ambiances moins aseptisées, moins conceptuelles et peut-être également moins prévisibles. Elle réinventait en quelque sorte la roue et remettait le bar sans qualité, modeste et inclusif, au sommet de l’expérience bistrotière. »

Dans son analyse, Jean-Laurent Cassely témoigne d’un « attachement affectif » pour ces lieux vécus comme un patrimoine commun, « une émanation de l’art de vivre et de la sociabilité à la française », forcément idéalisée. Et de se demander : « Est-il possible de refaire du bar PMU un lieu inclusif, dans le sens où il pourrait parler à différents types de population ? Comment pourrait-on faire en sorte que l’ouvrier côtoie le foodista ? » Chez Cornichon, le chef et cofondateur Bertrand Chauveau le constate : « Être un endroit ouvert en continu toute la journée brasse des populations différentes qui peuvent se côtoyer. » Un parfait levier pour devenir une institution de quartier.

À la carte du Cornichon (XIe ), le « french breakfast » composé d’un œuf à la coque et de ses mouillettes, servi avec une pointe de beurre demi-sel.
À la carte du Cornichon (XIe ), le « french breakfast » composé d’un œuf à la coque et de ses mouillettes, servi avec une pointe de beurre demi-sel. DR

Mais quid, à l’inverse, de celles en manque de « street cred » (comprenez, qui n’attire plus les jeunes) ? Il leur faut rajeunir leur image. Du moins, c’est ce que pense le directeur marketing du Groupe Bertrand, notamment propriétaire de la vénérable brasserie Lipp ouverte en 1880. Et comment y arriver ? En proposant un « merch » bien pensé. Ce raccourci de « merchandising » évoque les produits dérivés en tout genre.

Nouvelle marque lifestyle

Ainsi, le restaurant devient une petite marque qui fédère. En 2022, Mathieu Lebreton (accompagné de Julien Pham et Ben Broca) lance Giftshop, une plateforme de vente en ligne de goodies de restaurants. Tee-shirts, casquettes, tabliers, tatouages éphémères, foulards, cendriers, tire-bouchons, torchons, verres siglés, assiettes… Et même la « rose éternelle » du Georges (qu’on peut voir dans cette adresse iconique surplombant les toits de Paris, au dernier étage du Centre Pompidou) ! Les créateurs du site appellent cela des « souvenirs ».

Un serveur de la brasserie parisienne Lipp (VIe ) dévoile la casquette au logo de l’institution, vendue sur le site Giftshop.
Un serveur de la brasserie parisienne Lipp (VIe ) dévoile la casquette au logo de l’institution, vendue sur le site Giftshop. DR

« En France, les objets dérivés existent depuis très longtemps, nuance Mathieu Lebreton. Le Café de Flore avait même sa propre boutique pendant des années. Le Covid a été un catalyseur, dans la mesure où ces ventes permettaient à des restaurateurs de survivre tout simplement, et avaient parfois “enfin le temps de s’occuper de ces projets”. »

Mais quand la restauration a repris à temps plein, gérer les produits dérivés est devenu une activité secondaire. C’est là que Giftshop intervient. Le collectif propose même de créer le graphisme d’un tee-shirt ou de détourner un logo. Ce qu’ils ont fait pour Lipp ou encore Au Pied de Cochon, institution bien connue des Halles, également propriété du Groupe Bertrand. Camille Fournier, directeur marketing du groupe évoque « un projet cool, actuel et dans l’air du temps ».

La salle du «néo-PMU» Cornichon (XIe ), ouvert en 2023 et décorée par l’agence Claves, surfe sur les codes modernisés du bistrot d’antan.
La salle du «néo-PMU» Cornichon (XIe ), ouvert en 2023 et décorée par l’agence Claves, surfe sur les codes modernisés du bistrot d’antan. Matteo Verzini

En rajeunissant l’enseigne, il espère le retour des jeunes dans son restaurant. Et profite de la caution « cool » de Giftshop pour placer sa vaisselle siglée aux côtés de celle de restaurants comme Le Verre Volé (Xe ), Folderol (XIe ), Septime (XIe ), Lao Siam (XIXe ) ou Double Dragon (XIe ), tous adoubés par Le Fooding et issus d’une génération très justement « dans l’air du temps ».

Chez Holybelly (Xe ), ouvert en 2013 par Nicolas Alary et Sarah Mouchot, le merchandising était d’abord édité pour une utilisation personnelle : « On voulait un teeshirt pour les équipes. Puis des jolis mugs reprenant notre devise “It’s Good Because We Care” (en français: c’est bon parce que nous faisons les choses avec soin) sur nos tables. »

Co-créé avec la FDJ, le bistrot Hasard (VIIIe ) propose des jeux de hasard servis à table dans une ambiance de troquet.
Co-créé avec la FDJ, le bistrot Hasard (VIIIe ) propose des jeux de hasard servis à table dans une ambiance de troquet. BISTROT HASARD

Comme Au Rêve (XVIIIe ), établissement mythique de Montmartre repris par Antoine Ricardou, cocréateur de l’agence de direction artistique A.S.L. avec Clémentine Larroumet, où le « branding » était d’abord pensé pour le lieu. Pour « que chaque objet raconte l’histoire de cet endroit et souligne le mythe », explique l’associée. Problème, les cendriers vintage de forme triangulaire estampillé Au Rêve sur les trois faces ont tous été volés dès la première semaine.

Résultat, une petite liste d’objets et d’accessoires inspirés de l’univers des cafetiers, comme le coquetier, le cendrier « ou le sweat-shirt qui nous avait été réclamé avec insistance par les habitués » se retrouvent désormais en ligne sur le site du café. Une opération de fidélisation payante puisqu’il n’est pas rare de croiser un tee-shirt Au Rêve dans le quartier. Un nom que l’on porte fièrement, comme pour revendiquer que l’on fait partie du club.


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