L’arrivée sur Medellín, depuis l’aéroport José-María Córdova, a quelque chose de captivant. Au sortir d’un tunnel de 8 km, la route de Las Palmas offre un incroyable spectacle pour les yeux, avec une impression de littéralement dominer la ville.
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Au fur et à mesure de la plongée dans la vallée de l’Albura, on prend la mesure de cette gigantesque métropole de 380 km2 qui se déploie à 1 500 mètres d’altitude. L’effet est d’autant plus saisissant lorsque le parcours s’effectue de nuit, tandis que l’agglomération scintille au milieu des reliefs.
De jour, Medellín combine plusieurs caractéristiques assez inédites pour un Européen. Loin d’être une cité secondaire, elle abrite pas moins de 4 millions d’âmes (2,5 millions rien que pour la commune). Son urbanisme n’hésite pas à s’étendre désormais à flanc de montagne, rythmé par des alignements en rangs serrés de tours d’une trentaine d’étages…
Et puis son climat équatorial, qui lui vaut le surnom de « ville du printemps éternel », fait que la végétation peut vite prendre des allures de jungle… urbaine. Ce portrait en triptyque constitue de prime abord le charme de Medellín. Certes, elle traîne encore, tel un boulet, une réputation de dangerosité que le baron de la drogue, Pablo Escobar, instaura dans les années 80. Et ce en dépit du fait que le narcotrafiquant soit mort il y a près de trente ans !
Si Narcos, la série de Netflix, n’a rien arrangé aux clichés, la deuxième ville la plus peuplée de Colombie mérite pourtant bien mieux que ce traitement médiatique, si l’on juge le côté florissant de son économie, un tourisme en pleine croissance qui talonne d’ailleurs Carthagène en matière de fréquentation et, surtout, une industrie du textile qui la positionne en tête des repères du secteur en Amérique latine.
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Qui aurait cru qu’au cœur de la cordillère des Andes se font et se défont les enjeux de la mode d’un bout de continent ? « Medellín a un lien plus que séculaire avec l’industrie du textile. Il faut avoir à l’esprit que cette ville se trouve au cœur de la région de production du café et qu’il fallait évidemment fabriquer des sacs pour transporter les fèves. Ce sont en fait les mêmes machines et les mêmes industriels qui vont, au cours du XXe siècle, fournir des tissus pour l’habillement », explique Sebastián Diez, qui dirige la structure Inexmoda.
Cette organisation a été fondée au milieu des années 80 à l’initiative d’industriels colombiens de la mode et du textile pour promouvoir au-delà des frontières ces deux secteurs déjà bien installés au plan national. « La première action d’Inexmoda a été de créer en 1986 Colombiamoda, en d’autres termes la Fashion Week de Medellín. Quelques mois plus tard, Colombiatex a vu le jour. Cette foire destinée aux industriels du textile, qu’ils soient fabricants de machines, producteurs de tissus, fournisseurs de matières premières… est la plus importante du genre en Amérique latine, tout comme d’ailleurs Colombiamoda, qui accueille une trentaine de défilés en trois jours », souligne le jeune président, aujourd’hui accompagné d’une soixantaine de collaborateurs.
Et d’insister sur le fait que sa structure est à but non lucratif, mais surtout qu’elle ne reçoit aucune aide gouvernementale ni de soutien de sponsors. Le fonctionnement est rendu possible grâce aux prestations d’organisation et de conseil commercialisées auprès des acteurs du marché.
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Les deux événements ont donc intelligemment été positionnés à six mois d’intervalle : fin janvier pour Colombiatex et fin juillet pour Colombiamoda, tous deux se tenant à Plaza Mayor, le centre international des congrès et des expositions de la ville. « C’est une autre particularité de Medellín que d’avoir regroupé toutes les dynamiques en un même endroit : les défilés, les stands ainsi que des conférences et des tables rondes permettant de mieux sensibiliser les publics. »
Autant dire que la formule connaît un franc succès puisque ce sont quelque 45 000 visiteurs qui se pressent aux portes de Colombiatex et 5 000 de plus à Colombiamoda. Une aubaine pour les hôteliers et les professionnels du tourisme qui voient durant cette période leurs carnets de réservations se remplir quasiment à 100 %.
Ce n’est d’ailleurs peut-être pas un hasard si la plupart des boutique-hôtels de la ville (Art Hotel, The Click Clack, The Charlee, Elcielo…) cohabitent avec les showrooms de mode au sein du même quartier, El Poblado. Ce fashion district qui s’étire à flanc de montagne n’a cependant rien de commun avec le Marais et autre « triangle d’or » parisien où fourmillent les fashion victims.
L’atmosphère est ici plus métissée tant en matière de population que dans la nature des enseignes. On y croise touristes étrangers et trentenaires locaux, ordinateurs portables sous le bras, profitant du climat tempéré en s’attablant à la terrasse d’un coffee-shop bien en vue (Pergamino, Azul Selva Brunch & Coffee…) ou d’un restaurant plébiscité par la critique internationale (Sambombi Bistró Local, Carmen, OCI.mde…) sans pour autant céder aux sirènes de la mode.
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Surtout, si l’on veut « shopper », il vaut mieux savoir où se rendre, car les adresses n’ont pas forcément pignon sur rue. Parmi les enseignes à ne pas manquer, Makeno est installée depuis une douzaine d’années au premier étage d’un bâtiment où il faut oser sonner à l’interphone puis grimper les escaliers pour découvrir son formidable inventaire.
« Nous avons fait le choix d’une certaine discrétion pour proposer aux amateurs avisés les stylistes que nous défendons. Ici, vous ne verrez que des créateurs colombiens : près de 130 noms au total qui fabriquent des vêtements, des bijoux, des accessoires et des objets de design. Certains sont de Medellín, bien sûr, mais la mode est désormais produite à travers tout le pays », explique Manuela Rubio, cofondatrice avec Paola Betancur du concept-store.
Parmi les marques « locales », notamment présentes chez Makeno, on compte Alado, Agua Bendita, Andrés Pajón ou encore Andrea Landa. Après avoir étudié à l’Istituto Marangoni, école de mode et de design londonienne, cette dernière est revenue il y a quelques années sur ses terres natales pour installer sa boutique au décor volontairement brut, évidemment à El Poblado.
« J’ai grandi auprès d’une mère qui possédait un atelier de cuir fabriquant sacs et accessoires. Au cours de ma formation, j’ai développé une technique de tissage du cuir. C’est avec ce nouveau “tissu”, fin et souple, que je réalise mes vêtements. De retour en Colombie, c’est assez naturellement que j’ai repris dans le centre l’atelier maternel avec les mêmes équipes qui y travaillent depuis une trentaine d’années », explique la styliste.
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Sur la route du Centro Histórico, le bastion des manufactures de textile, une halte au musée d’Art moderne (MAMM) s’impose. Pour visiter l’expo en cours et rencontrer deux figures locales. Gloria Saldarriaga embrasse l’univers de la création dans toutes ses dimensions.
Originaire de Medellín, collectionneuse d’art, fondatrice d’une galerie, elle est une porte-parole majeure de la mode made in Colombia à travers des projets éditoriaux tels que Simple Chic ou Manifiesto Cuatro, qui se penche sur le recyclage vestimentaire des uniformes militaires. Elle est accompagnée de son ami Miguel Mesa Posada, qui a étudié et travaillé en France, et mène une activité de conseil auprès de marques comme Agua Bendita.
« Nous avons souhaité nous retrouver au MAMM, car l’exposition actuelle (“Medellín. Pulso de la Ciudad”, jusqu’au 9 avril, NDLR) dresse un remarquable portrait de la ville par le prisme de l’art, mais aussi des phénomènes de mode. Le collectif Barber Art propose par exemple aux visiteurs de se faire couper les cheveux selon des codes esthétiques inspirés par la topographie », relève Gloria Saldarriaga, pour signifier que la mode n’est pas qu’élitiste.
« Elle se développe dans des lieux populaires comme les malls commerciaux où 80 % des enseignes sont colombiennes, ou encore à travers un média comme la télévision : la telenovela Yo Soy Betty, la Fea se déroulait dans l’univers de la mode – dans les années 2000, tous les stylistes du pays voulaient y participer pour être connus du grand public. Désormais, des chanteurs de reggaeton (genre musical qui mélange hip-hop et sonorités d’Amérique latine, NDLR) comme Maluma et J Balvin sont des influenceurs incontournables en la matière », fait remarquer Miguel Mesa Posada.
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À quelques blocs de là, c’est tout un quartier populaire, le Perpetuo Socorro, qui se réinvente en hub d’innovation, à l’initiative de la marque de prêt-à-porter Mattelsa. Celle-ci y a non seulement implanté son siège, mais incite d’autres entreprises créatives, torréfacteur artisanal ou studio de danse, à s’y installer. Nous y croisons William Cruz Bermeo, professeur d’histoire de la mode à l’Université pontificale bolivarienne (UPB), qui s’est longuement penché sur son développement dans le pays tout au long du XXe siècle.
« On peut voir l’apparition d’Inexmoda dans les années 80 comme un puissant message visant à proclamer que la Colombie n’est pas qu’un pays de violence et de drogue, mais une nation riche d’une scène créative forte et singulière. D’ailleurs, aujourd’hui, on parle bien de coupe colombienne pour les jeans “push up”, qui mettent en valeur les fessiers. De même, le marché du shapewear, les vêtements post-chirurgie esthétique, est devenu le troisième plus important du monde. Il a du reste influencé la production de maillots de bain, autre créneau où la Colombie est à la pointe », explique l’universitaire.
Medellín n’a sans doute pas fini de surprendre le public sensible à l’emploi de ces nouveaux tissus techniques. D’ailleurs, Sebastián Diez ne cache pas qu’Inexmoda va prochainement ajouter une troisième corde à son arc en organisant à partir de 2024 une édition colombienne de la foire allemande Heimtextil, vouée au textile d’ameublement. Une initiative qui permettrait de s’associer au monde du design mobilier, déjà très engagé dans la remise en valeur de l’artisanat local.
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