Arriver chez Max Lamb, dans sa maison-atelier, c’est un peu retrouver le vieux Londres de la classe ouvrière. J’arpente ces rues qui égrènent des chapelets de maisonnettes couleur brique aux toits pointus, serpentant, une fois n’est pas coutume, sous un ciel limpide et ensoleillé. Ce lieu spécial, Max Lamb et Gemma Holt l’ont spécifiquement choisi pour le transformer eux-mêmes, y exprimer leur credo conceptuel pétri de dur labeur, d’adresse manuelle, de passion et d’honnêteté envers les personnes et les choses. L’édifice (millésime 1906) aux briques rouges et aux larges baies vitrées, se répartit sur deux niveaux qui se détachent d’un complexe industriel mitoyen situé côté cour. Un satellite, ou un avant-poste extraterrestre, en somme. Le rez-de-chaussée est un grand laboratoire de production. Il est organisé avec une précision maniaque en compartiments gris bourrés d’outils. De-ci de-là s’y détachent des machines, des scies, des marteaux, des cisailles et une infinité de matières premières à différents stades de transformation, avec en tête le polystyrène, qui sert à réaliser des pièces sur commande, notamment pour la série « Poly Chair ». L’un des flancs du laboratoire donne sur la partie extérieure de l’atelier où Max travaille la pierre, occasionnant énormément de poussière et un bruit infernal. Le temps y semble suspendu, les outils déposés comme s’ils avaient été soudainement abandonnés. Une vraie scène de film postapocalyptique.
À l’entrée, il n’y a évidemment pas de sonnette. On tape sur la grande porte en fer, doucement d’abord, puis un peu moins et, enfin, avec insistance. On devine Max descendre l’escalier en liège, pressé d’accueillir le visiteur sur le seuil, et se présenter, en chaussettes, souriant, comme toujours, avant d’entraîner son hôte, qui se déchausse prestement, vers l’atmosphère chaleureuse du premier étage. Le mystère qui entoure ce lieu se dissipe peu à peu. Max et Nicolas, son fidèle assistant, ainsi qu’une récente recrue coréenne, bavardent amicalement et achèvent en beauté un petit repas de fromages rares, de salades et de sauces. Çà et là, des bols, des plats et des couverts. De par leur raffinement et l’équilibre de leurs couleurs, on les croirait disposés pour une mise en scène. Il n’en est rien. C’est la routine de l’atelier et le moment de la pause. Mains, tête et machines décrochent. « Faire le marché pour l’atelier, ou les courses pour soi, m’explique Max, fait partie intégrante du travail. Il n’y a aucun commerce dans les parages, or il est important de prendre soin de nous et de notre espace. C’est un rituel. Et ce, bien que Gemma soit absente, car elle est chez Martino Gamper (le designer, NDLR), un ami fidèle avec lequel elle travaille à temps partiel. » Agir pour l’amour des belles choses donc, qu’il s’agisse d’une pierre, d’une céramique ou d’un fromage. L’amour pour les formes et les surfaces aussi, pour les porosités, les rainures et les marques du temps. Un nombre incroyable de chaises peuple la maison. Max se met à les compter. Trente-six rien qu’au premier étage. Puis il les passe en revue. Du vintage nordique à Enzo Mari, des Eames à Martino Gamper, justement. Les propres sièges de Max Lamb, innombrables, sont loin de m’être inconnus. Je les ai sélectionnés pour l’exposition « Exercises in Seating » – le titre éponyme de la thèse de diplôme du designer – dont j’étais la commissaire pour le quartier 5VIE Art + Design de la Milan Design Week, en 2015. « Un cercle et 41 chaises », c’est ainsi que Max Lamb décrivait le dispositif : des œuvres en polystyrène atomisé à la Bronze Poly Chair, du recours au métal dans ses travaux plus récents (Anodised Chair en aluminium ou Solder Seat en zinc) aux pierres sculptées (dans le Delaware ou en Chine) jusqu’aux chaises pour Y&A, dont j’ai eu la chance de voir un prototype de tabouret. Nous plaisantons sur ses manies de collectionneur : les outils, les chaises… « Mais tout cela n’est rien. C’est pourquoi j’ai construit des rayonnages avec un système de rangement très organisé. »
Cabinet de curiosités
Aussitôt dit, il se lance dans l’ouverture d’une multitude de casiers contenant des objets de grande et de moins grande valeur, que Gemma et lui collectionnent, dénichés au fil des ans dans les endroits les plus incroyables, religieusement classés par genre ou protégés dans des boîtiers catalogués par critères de recherche et par année. En découvrant ce véritable cabinet de curiosités, on comprend que Max a hérité de son père Richard une obsession de collectionneur et une passion pour les céramiques, les théières notamment. Une passion éclectique aussi pour les urushi-e, ces laques japonaises du XVIIIe siècle qu’il n’a de cesse de rechercher, ainsi que pour les pierres et les métaux, et pour toutes sortes d’objets, du pendentif à la cuillère, réalisés avec les matières les plus disparates, puis méticuleusement rangés par forme ou par type d’exécution, dans des ensembles cohérents. Max les extrait un à un, raconte leur histoire avec les yeux ébahis d’un enfant qui a appris à transformer en objets tridimensionnels une masse de suggestions et de souvenirs. Avant l’arrivée imminente d’un important éditeur international avec lequel Max travaille depuis deux ans, notamment sur des projets pour le prochain Salon du meuble de Milan, la visite de la salle de bains est de rigueur. Tout autour de nous, du Marmoreal, un matériau à l’apparence de nougat, mélange de marbre et de polyester, qui permet aux architectes de travailler avec une grande liberté. Il s’agit en fait du projet de Max pour la marque londonienne Dzek, présenté en 2014, à Milan, et proposé à nouveau, en noir, lors de Design Miami / Basel, en 2015. Une expérience immersive, c’est le moins que l’on puisse dire, mais qui ne laisse pas forcément le temps de repérer sa brosse à dents ! Je salue Max après m’être fait indiquer le chemin du retour vers le métro. En m’éloignant, me poursuit la forte odeur de cire avec laquelle l’artiste designer est en train de réaliser sa prochaine chaise. Un symbole de l’éternel défi entre l’homme et l’archétype.