Comment avez-vous sélectionné la dizaine de galeries sud-coréennes ?
J’ai souhaité que l’on montre toutes les générations d’artistes contemporains du pays. Ainsi, parmi les plasticiens émergents, il y a Shan Hur, représenté par la galerie Gana Art, et Yun Soo Kim sur le stand de SoSo. La galerie UM, elle, montrera des artistes cultes des années 70, qui se sont illustrés par leur engagement contre la dictature de l’époque, à l’image de Lee Kun Yong, dont les peintures performatives reviennent en grâce aujourd’hui. Et puis, vous verrez aussi quelques stars de la Corée du Sud contemporaine, comme Sang-Kyoon Noh, chouchou d’Art Basel avec ses tableaux hauts en couleur, à la galerie Simon, ou encore, sur le stand de Park Ryu Sook, les œuvres de Joon Kim. C’est lui, entre autres, qui projettera sur la façade du Grand Palais ses vidéos surprenantes, audacieuses, dans lesquelles des corps tatoués s’animent de mouvements ultralents.
Vous invitez l’art sud-coréen sur les murs du Grand Palais mais aussi hors les murs. En quoi va consister votre intervention au Silencio, le night-club de David Lynch ?
J’ai imaginé là-bas un programme de vidéos autour du thème de la frontière. Sur une péninsule scindée comme la Corée, ce n’est pas une question anodine ! La plasticienne Minouk Lim mène ainsi une réflexion passionnante sur l’histoire moderne du pays, avec ses zones d’ombre et ses failles. Sojung Jun, elle, explore dans ses films une frontière plus métaphorique : celle qui existe entre les passions quotidiennes – comme cet homme, dont elle narre l’histoire, qui collectionne frénétiquement les pierres – et les œuvres d’art.
Les femmes semblent représenter un gros pourcentage parmi les artistes présents. Comment l’expliquez-vous ?
Chez nous, il est de bon ton qu’une jeune femme reçoive une éducation artistique. Les garçons, eux, sont mal considérés s’ils s’intéressent à la création plutôt qu’aux disciplines dites sérieuses. Ayant étudié la sculpture et l’histoire de l’art, je suis moi-même le produit de cette culture patriarcale. Sur les mêmes bancs que moi, il y avait beaucoup de filles issues des grandes
familles industrielles. Pas étonnant que les fondations artistiques des conglomérats sud-coréens Samsung, Daewoo et autres Kumho soient chapeautées par les épouses des magnats. De ce fait, il est vrai que les plasticiens sud-coréens de stature internationale, tels que Lee Bul, Kimsooja ou Haegue Yang, sont souvent des plasticiennes.
Haegue Yang, justement, est représentée à Paris par la très puissante galeriste Chantal Crousel. Quel rapport entretiennent les artistes sud-coréens avec les marchands français ?
Dans les années 90, lorsque de nombreux artistes sud-coréens venaient étudier aux Beaux-Arts de Paris, on a connu une sorte d’âge d’or. Les galeristes français les exposaient alors en masse. Depuis, les artistes s’orientent davantage vers Berlin, Londres et New York… Il reste néanmoins de belles collaborations. Dans l’écurie de Kamel Mennour, il y a le plus coté de nos sculpteurs : Ufan Lee. Emmanuel Perrotin, lui, a fait connaître en France la mouvance Dansaekhwa, cette peinture minimaliste des années 70, très monochrome, dont Seo-Bo Park est la figure de proue.
Y a-t-il en Corée du Sud des foires équivalentes à Art Paris ou à la Fiac ?
Lors de son lancement en 2002, la Korea International Art Fair (KIAF) avait propulsé Séoul au rang de place forte du marché de l’art asiatique, devant Shanghai, Hong Kong et Singapour. Mais la direction n’a pas su s’adapter à l’explosion chinoise et la foire accuse désormais un net recul. Quant à la Gwangju Art Fair, qui se tient pendant l’excellente biennale du même nom, elle ne parvient pas non plus à attirer les galeries non coréennes.
Parmi les galeries sélectionnées, Shilla est basée dans la ville de Daegu. La scène nationale ne se limite donc pas à Séoul ?
Absolument pas. Il faut aussi mentionner l’excellente galerie Johyun qui, outre des artistes du pays, expose à Busan le Français Bernard Frize et la Japonaise Yayoi Kusama. La jeune galerie SoSo, elle, est basée à Paju, une localité où l’industrie de l’édition a établi une « Book City », un complexe culturel. Depuis, toute une faune créative de designers, d’architectes et d’artistes s’est installée là-bas, à l’image du grand photographe Bien-U Bae, exposé en ce moment au château de Chambord.
Bien-U Bae, qui photographie surtout des arbres, place son travail sous le signe de la spiritualité. Est-ce une posture fréquente chez les artistes coréens ?
Certains plasticiens ultracontemporains, comme le duo Moon Kyungwon & Jeon Joonho – représentants de la Corée du Sud à la dernière Biennale de Venise – mêlent à leurs installations sophistiquées des notions confucianistes. Jeong-Hwa Choi, dont on verra les énormes sculptures colorées sur le stand de la galerie Park Ryu Sook, est tout imprégné de bouddhisme… Oui, la question spirituelle est très présente chez nos artistes. D’ailleurs, pendant Art Paris, nous développons cette thématique dans un cycle de performances intitulé « Rituels ». J’y montre notamment Yeesookyung, une artiste qui couche sur la toile les visions qui lui apparaissent lors de séances d’hypnose. Une manière pour elle, selon une conception du monde très orientale, d’entrer en connexion avec ses « vies antérieures ».